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"C'est le début d'autre chose!": dans la rue, l'opposition à la réforme des retraites a pris depuis jeudi un tournant plus radical, porté par de jeunes militants lassés des cortèges hebdomadaires et prêts à en découdre.
"Depuis hier on sent quelque chose de différent. Je viens prendre des forces auprès de cette jeunesse en rage", explique vendredi, au deuxième soir de mobilisation antigouvernementale sur la place de la Concorde à Paris, un manifestant de 50 ans, impassible sous la pluie de lacrymogènes.
Autour de Norredine, gazier chez GRDF, les vagues de jeunes encagoulés affrontent la police à intervalles réguliers sur l'immense place, célèbre pour avoir été l'un des lieux d'exécution pendant la Révolution. En toile de fond, l'Assemblée Nationale, illuminée par les gyrophares, est toute proche mais inaccessible, barricadée par un cordon de véhicules de gendarmerie.
Comme la plupart des manifestants déchaînés après l'usage par le gouvernement de l'article 49.3 - qui permet l'adoption sans vote d'une loi et qu'ils considèrent comme un "déni de démocratie" - Norredine attend que la contestation "monte" d'un cran.
A Paris, jeudi, "au plus fort" de la soirée, 10.000 personnes étaient rassemblées place de la Concorde. Des milliers d'autres sont venues ou revenues le lendemain soir, malgré la pluie, avec un profil plus jeune, et une présence accrue de Black Blocs, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Deux soirs de suite, la jeune Savannah, 20 ans, étudiante libanaise à Paris, 3 est venue apporter son expertise "des manifestations au pays" pour aider à monter des barricades de fortune. "Notre violence est la réponse à leur violence", résume la jeune femme. "Des policiers mais aussi du gouvernement qui nous méprise", complète-t-elle.
Ses yeux sont rouges sous l'effet des gaz lacrymogènes, mais l'étudiante d'1m50, en jean pattes d'éléphant, non masquée, porte et accroche ses morceaux de barrière sous le nez d'une rangée de CRS casquée.
- "L'intersyndicale est morte" -
Les manifestations spontanées et les actions de blocages relayés par des collectifs et syndicats étudiants attirent depuis jeudi dans les rues de France, une vague d'opposants, souvent lycéens ou étudiants, qui se qualifie - comme le veut le chant consacré en manif - de "déter" (déterminée) "à bloquer le pays".
Dès mercredi à Paris, sous la halle historique de la Bourse du travail, des centaines de militants de gauche de tous âges et tous bords syndicaux s'étaient réunis en "interpro" pour phosphorer, bière ou cigarette à la main, à la suite concrète à donner à leur lutte.
"Chacun prend une poubelle et on la dépose devant l'Élysée", lance un lycéen, resté comme les autres anonyme au micro, mi-applaudi mi-hué. Une femme propose, elle, d'attacher les poubelles dans les rues pour empêcher leur ramassage par les "casseurs de grève": "Achetez des serflex (colliers de serrage, ndlr), c'est pas cher et efficace!".
Au-delà des propositions de désobéissance civile, ils espèrent - sans trop savoir s'ils peuvent y croire - un "printemps" de révolte voire pour certains, de révolution.
Blocages, "manifestation sauvage", soutien aux piquets de grève, occupation des lycées et des facultés : ces militants, lycéens, étudiants, travailleurs du privé et du public veulent plus que les "manifs hebdomadaires" proposées par l'intersyndicale, la prochaine étant prévue le 23 mars.
"On a eu de belles journées de grèves, mais maintenant ils nous faut un mouvement offensif", lance, sous les applaudissement, Jean, étudiant à Paris VIII, refusant également d'être identifié par son nom. "Pour nous l'intersyndicale est morte ! C'est le début d'autre chose !", lance l'étudiant rompu à l'exercice de l'AG.
- "Bordélisation" -
Jeudi, 310 personnes ont été interpellées en France, dont 258 à Paris lors de manifestations. Vendredi 61 interpellations ont eu lieu à Paris, selon la Préfecture de police.
"L'opposition est légitime, les manifestations sont légitimes, le bordel ou la bordélisation non", a déclaré vendredi le ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin, sur RTL.
A Paris, deux jeunes étudiants et militants ont ainsi été interpellés vendredi à proximité de la faculté de Tolbiac quand ils se rendaient en cortège non déclaré vers un incinérateur d'ordures bloqué du quartier, ont affirmé deux témoins à l'AFP. Devant le commissariat du Ier arrondissement, en soirée, 300 "camarades" - drapeaux rouge du NPA ou du collectif Poing levé en main - ont appelé à leur "libération immédiate".
"Si les syndicats veulent rester raisonnables, nous on appelle à être déraisonnables", déclarait, sous le néon du commissariat, Yann Le Merrere, employé de la Poste venu soutenir la "jeune garde" interpellée.