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Ce devait être le procès des bourreaux d'Oradour, ce fut une nouvelle meurtrissure. En 1953, son verdict et plus encore l'amnistie qui le suivit engendrèrent une guerre des mémoires entre Limousins et Alsaciens, et un divorce avec l'État.
Il y a 70 ans, le tribunal militaire de Bordeaux condamnait des Allemands et des Malgré-nous, ces Alsaciens et Mosellans incorporés de force, pour leur rôle dans l'un des pires massacres de civils commis par les Nazis en Europe occidentale en 1944 à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne).
"C'est une plaie franco-française qui ne s'est jamais vraiment refermée", relève Pascal Plas, historien et directeur de l'Institut international de recherches sur la conflictualité à Limoges.
Depuis bientôt 80 ans, le village martyr est resté en l'état pour "se rendre vraiment compte de ce qu'est un massacre de masse", souligne Benoît Sadry, président de l'association nationale des familles des martyrs d'Oradour-sur-Glane.
Aux entrées des 15 hectares de ruines, à l'ouest de Limoges, des "Souviens-toi" gravés dans la pierre accueillent le visiteur. Dans une atmosphère de recueillement, l'herbe pousse dans les maisons éventrées et la rouille fait son œuvre sur des carcasses de voitures, des machines à coudre et des casseroles d'époque.
Le temps s'est arrêté le samedi 10 juin 1944 quand des SS de la division Das Reich y ont massacré 643 personnes.
Dans des granges, ils ont abattu les hommes à la mitrailleuse. Dans l'église, ils ont enfermé femmes et enfants et mis le feu. Puis ils ont brûlé les corps, creusé des fosses et entièrement incendié le village.
La plus jeune victime avait huit jours, la plus âgée 90 ans.
Six personnes ont réchappé à cette immolation "méticuleusement préparée et exécutée" par les Nazis, qui voulaient "semer la terreur pour que la population ne bascule pas du côté des maquis", particulièrement actifs en Limousin, explique Benoît Sadry.
- "Témoin sacré" -
Après une instruction longue et laborieuse, aucun officier SS n'est présent à Bordeaux le 12 janvier 1953 à l'ouverture du procès. Sur les bancs: 21 anciens SS, dont 14 Français (13 enrôlés de force et un engagé volontaire).
L'inculpation des Malgré-nous à Bordeaux -une "monstruosité", selon un avocat- est due à une loi de 1948 qui établit, avec effet rétroactif, une responsabilité collective pour la participation de Français à des crimes de guerre nazis. Elle sera abrogée en plein procès.
Dans la salle, une photographie de la cité martyre, des cartes et des plans doivent aider à comprendre.
Mais "tous les accusés, sauf un, se réfugient tous derrière des +J'ai tiré en l’air+ ou des +Je gardais les camions+", explique Pascal Plas.
L'un d'eux avoue quand même sa "honte": "J'ai vu tellement d'horreurs, j'ai encore dans la tête les cris des femmes et des enfants".
Le 31 janvier, une femme aux cheveux blancs s'avance à la barre, "très digne dans ses vêtements noirs", relate l'AFP à l'époque. "Je suis le témoin sacré", confie Marguerite Rouffanche. Seule rescapée de l'église, elle a sauté par un vitrail cassé.
Elle décrit une énorme explosion, une épaisse fumée, des coups de feu qui crépitent, dont un tue l'une de ses filles. L'autre, dit-elle, a été brûlée vive. Elle a aussi perdu son mari, son fils et son petit-fils de sept mois.
"Derrière l'église, il y avait un charnier, des gosses mutilés à moitié calcinés, des bras, des jambes d'un côté ou de l'autre", dit aux juges Aimé Renaud, mécanicien qui a pu se cacher et fuir.
- "Trahison" -
Le commissaire du gouvernement ne requiert pas la clémence pour les Alsaciens: leur enrôlement de force constitue "une large circonstance atténuante mais non une excuse".
Le 13 février, deux des SS présents sont condamnés à mort et les autres, dont les Malgré-nous, à de la prison ou des travaux forcés.
Des peines "jugées légères ici et trop importantes en Alsace", résume Benoît Sadry.
Le monument aux morts de Strasbourg est recouvert d'un immense voile noir mais dès le 20 février, une loi amnistie les Malgré-nous au nom de l'unité nationale.
"Oradour va rester avec son deuil pendant que l'Alsace se sent réincorporée dans la nation française", souligne Pascal Plas. Pour les Limousins, cette "trahison de l'État est bien plus grave que la décision de la justice".
Considérant le crime impuni, la commune rend sa Croix de Guerre, sa Légion d'honneur et la plaque posée par le général de Gaulle en 1945.
Oradour refuse aussi que les cendres des victimes soient déposées dans une crypte érigée par l'État et construit pour ses morts un autre tombeau.
Pendant des années, les représentants de l'État ne seront plus conviés aux commémorations, tandis qu'aux entrées du village seront affichés les noms des 505 parlementaires qui "ont réhabilité les monstres SS".