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Au coeur de la vieille ville de Tripoli, un coup de canon retentit. Il n'annonce pas le retour de la guerre en Libye, mais d'une tradition du ramadan que les autorités veulent raviver après des décennies de dictature et de chaos.
Sur la grande place des Martyrs, le tapis rouge est déroulé jeudi soir pour un canon vieux de 600 ans, jalousement gardé par des officiers coiffés d'un béret. Quelques minutes avant l'appel à la prière, qui annonce la fin du jeûne musulman, la poudre explose, en ce début du mois de ramadan.
Cette vieille tradition répandue dans le monde musulman n'avait pas revu le jour depuis la fin des années 1970 et le début de la dictature de Mouammar Kadhafi, qui tenait à faire table rase de l'histoire libyenne. Mais pour les nouvelles autorités, "rien ne s'oppose" au "canon de l'iftar", le repas de rupture du jeûne.
"C'est une manière d'apporter de la joie aux habitants de Tripoli", se félicite Akram Dribika, conseiller municipal chargé de superviser l'événement. Pour lui, il s'agit de faire passer le "message d'un retour à la vie" en Libye.
- "Très important" -
Depuis la mort de Kadhafi en 2011, en plein Printemps arabe, la Libye a connu le chaos politique et des violences armées entre camps rivaux. Mais la société a aussi retrouvé son goût pour la culture, l'histoire et les traditions d'un pays au patrimoine très riche.
L'origine du canon de l'iftar reste incertaine. Elle serait née dans l'Egypte ottomane il y a deux siècles, avant la démocratisation des montres puis des technologies. Le coup de canon permettait alors aux autorités de prévenir les fidèles de l'imminence de la fin du jeûne au soleil couchant.
En djellaba pourpre, Nouri Sayeh ne faisait que "passer" par la place des Martyrs avant de tomber sur cette "belle surprise" du canon de l'iftar remis à l'honneur.
"Pour le ramadan, notre patrimoine, nos traditions, c'est quelque chose de très important qui doit continuer d'exister", estime ce commerçant de 32 ans.
L'événement s'inscrit dans le cadre des efforts des autorités et de la société civile pour redonner vie à la vieille médina de Tripoli, aujourd'hui en pleine rénovation, après avoir été maltraitée durant les 40 ans de règne de Kadhafi.
Artistes, artisans et autres commerçants redonnent vie aux allées pavées et aux bâtiments qui rappellent le passage en Libye des civilisations romaines, grecques et ottomanes.
- "Admirer la vue" -
Après le repas de l'iftar, la médina se remplit de familles qui achètent des barbes à papa et de jeunes qui causent sur des bancs en buvant un café, pendant que d'autres se prennent en selfie devant les décorations du ramadan.
Pour la deuxième année consécutive, la municipalité a orné les places et ruelles principales de guirlandes illuminées, de lanternes traditionnelles et autres grandes installations en forme de croissant de lune, symbole de l'islam.
Ayant grandi dans le quartier, Racha ben Ghara se réjouit de voir la foule et les lumières alors qu'elle devait auparavant "utiliser l'ampoule du téléphone pour marcher" dans les ruelles autrefois non pavées de la vieille ville.
"Les gens ne venaient que pour faire des emplettes au souk mais pas comme aujourd'hui pour admirer la vue et le patrimoine", se souvient cette fonctionnaire de 35 ans.
Même les plus jeunes, présents en nombre, expriment par leur forte présence leur attachement à la médina. A 20 ans, Motassam Hassan espère même que toute la Libye, y compris les périphéries les moins développées, suivra cette "évolution".
Pour cet étudiant en informatique, "ce que l'on voit dans la médina doit aussi se produire dans tous les autres endroits, même en dehors de Tripoli, qui doivent être illuminés de cette façon".