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Cet après-midi, Tammi Kromenaker doit de nouveau parler à ses avocats. En plein imbroglio judiciaire aux Etats-Unis sur l'avenir de la pilule abortive, cette directrice d'une clinique du Minnesota, aguerrie par des années de lutte pour le droit à l'IVG, n'entend pas se laisser abattre.
"C'est la pagaille", dit-elle jeudi à l'AFP dans son bureau à la Red River Women's Clinic, dans la petite ville de Moorhead, dans le nord du pays. Mais "nous nous adapterons, nous trouverons une solution".
Le 7 avril, un juge fédéral au Texas, connu pour ses positions ultraconservatrices, retirait son autorisation de mise sur le marché à la mifépristone sur l'ensemble du territoire américain, nouveau rebondissement dans l'assaut contre le droit à l'avortement aux Etats-Unis.
Le gouvernement fédéral a fait appel et une cour d'appel a en partie invalidé la décision du juge, faisant en sorte que la pilule abortive reste pour le moment autorisée; mais ce tribunal a aussi rétabli des restrictions à son usage.
C'est devant la Cour suprême que devrait se jouer l'avenir de la mifépristone: l'administration Biden a annoncé qu'elle allait la saisir.
Une situation complexe qui a provoqué la confusion chez les patientes et l'incertitude dans les cliniques. Tammi Kromenaker vient justement de recevoir deux nouveaux cartons de mifépristone et depuis quelques jours, explique-t-elle, les appels dans le milieu à des avocats et des chercheurs se sont multipliés.
"Pendant presque chaque appel ou réunion Zoom auxquels j'ai participé, des gens ont dit que (la situation) pouvait changer au moment même où on parlait, parce qu'il y a tellement d'éléments changeants et tellement de parties prenantes", raconte-t-elle.
- Déménagement -
Pourtant, la clinique avait depuis peu pris un rythme de croisière après des moments tumultueux, selon Tammi Kromenaker.
Car jusqu'à l'été dernier, la Red River Women's Clinic était basée à Fargo, dans le Dakota du Nord, à quelques minutes en voiture de son emplacement actuel. C'était la seule clinique à pratiquer des avortements dans cet Etat conservateur.
Début mai 2022, lorsque le média Politico publie, sur la base d'une fuite, que la Cour suprême s'apprête à annuler la protection fédérale du droit à l'avortement et laisser les Etats légiférer sur la question, la nouvelle fait l'effet d'une bombe.
Tammi Kromenaker, qui avait senti le vent tourner avant même cette nouvelle choc, se lance dans la recherche effrénée de nouveaux locaux, car le Dakota du Nord est l'un des Etats ayant prévu des lois dites "gâchette", rédigées pour entrer en vigueur automatiquement en cas de changement de jurisprudence.
Elle signe les papiers pour le nouveau bâtiment, à Moorhead, le 23 juin, soit un jour avant la décision du temple du droit américain, et déménage quelques semaines plus tard dans le Minnesota, davantage progressiste.
- "Moyen Âge" -
Après des revirements judiciaires, l'avortement est finalement - et pour le moment - resté légal dans le Dakota du Nord, mais Tammi Kromenaker ne regrette pas d'être partie.
"Les gens me demandent parfois (...) +vas-tu mettre sur pied une nouvelle clinique dans le Dakota du Nord?+ et je dis non, parce que maintenant que nous avons passé du temps ici, nous n'allons pas revenir au Moyen Âge", lance-t-elle.
Bien que Fargo et Moorhead forment "une seule grande communauté" à cheval sur deux Etats, la différence entre les deux villes "va au-delà du jour et de la nuit", affirme-t-elle, en s'émerveillant du soutien qu'elle a reçu dans le Minnesota et en se disant plutôt confiante dans l'issue judiciaire.
"Je ne pense pas que la mifépristone disparaisse de sitôt. Peut-être sera-t-elle disponible avec des restrictions", dit-elle.
Et en tant qu'établissement habitué aux contentieux, "nous sommes capables de nous retourner rapidement", assure-t-elle.
Jeudi en fin de journée, après s'être entretenue avec l'AFP, Tammi Kromenaker a analysé la situation avec ses avocats à l'aune des derniers développements.
Un juge de l'Etat du Washington ayant affirmé que la décision sur la mifépristone ne s'appliquait pas à 17 Etats et à la capitale fédérale, "nous sommes à l'aise avec le fait de fournir de la mifépristone dans le Minnesota et nous continuerons à en fournir comme avant", a-t-elle fait savoir dans un message.
En attendant de voir à qui revient le dernier mot.