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Kawéni est devenu en vingt ans le plus grand bidonville de France. A Mayotte, ce dédale de cases où survivent 15.000 personnes, dont une forte concentration de jeunes Comoriens sans papiers, descend de la colline jusqu'à la nationale, frontière invisible.
D'un côté de la principale route de l'île, des enseignes de bricolage ou de loisirs aux prix insulaires et, plus bas, un quartier de classes moyennes et la "cité éducative" aux 10.000 élèves.
De l'autre côté de la chaussée monte la colline verte et bruissante, qui disparaît sous un enchevêtrement de tôles ondulées et de raccordements électriques bricolés.
"Mamoudzou compte le plus grand bidonville de France et nous ne sommes pas fiers de ce palmarès", déplore Ambdilwahedou Soumaila, le maire du chef-lieu de l'archipel. "Un bidonville c'est d'abord l'insécurité sanitaire et écologique, c'est l'indignité de la nation".
"Il y a eu une très forte augmentation de la population ici depuis les années 2000", liée à un "baby boom" et à l'émigration de mineurs isolés depuis les Comores voisines, explique Mohamed Hamada, dit Mario, le porte-parole de la jeunesse de Kawéni, qui lui a dédié un très populaire média local sur Instagram.
Tournée de "check" au poing jusqu'en haut de la colline, où les garçons jouent pieds nus sur un mini terrain de foot en terre battue. Les anciens y boivent le thé sur une natte, avec vue sur Mamoudzou et le sublime coucher de soleil sur l'océan Indien. Les ruelles foisonnent de jeunes.
"On n'a pas envie que Wuambushu (l'opération des forces de l'ordre) arrive ici dans la mesure où l'on est bien, chez nous. On aimerait que tout ça (les affrontements) s'arrête et que l'on ait des maisons", dit à l'AFP Anzline Salim, 38 ans. Le quartier ne fait pas partie de ceux immédiatement menacés par un "décasage".
Anzline Salim reste à l'écart des fauteurs de troubles qui se pavanent sur la place et les juge sévèrement. Mario, "bandit repenti", les a à l'œil.
- Économie informelle -
"Dans ma jeunesse je croyais 100% à la délinquance, pour moi c'était un métier comme un autre", témoigne l'entrepreneur de 28 ans, Mahorais d'origine comorienne, dans sa maison qui sert de foyer d'accueil.
Cette criminalité qui mine l'île a poussé Paris à déployer à Mayotte 1.800 policiers et gendarmes pour une opération au long cours de rétablissement de l'ordre.
A Mayotte, la violence est d'abord un phénomène éruptif de rivalités entre quartiers, avec des descentes de nuit et des bagarres inopinées.
En ce moment, Kawéni est à l'écart. Doujani (sud) et Majicavo (nord) ont pris la relève. Mais Kawéni est pile au milieu du chemin de crête qui relie les secteurs. Alors on y reste sur le qui-vive.
Cette guerre a connu un nouvel épisode lorsque, le 12 novembre dernier, un jeune de Kawéni a été tué à la machette par une bande de Doujani, quartier allié à Majicavo. Puis un bus d'élèves de Kawéni a été caillassé et des assaillants armés ont frappé à coups de sabre ses passagers.
"Les jeunes sont désœuvrés, ils sont des proies faciles pour la délinquance", explique Mario.
A Kawéni, il n'y a pas grand chose à faire après l'école, qui fonctionne par rotation en raison de la surpopulation et du manque de places. Il y a bien le "plateau", le terrain omnisports, malheureusement monopolisé par "les grands" et les compétitions officielles.
Pour les habitants, en immense majorité venus de l'île comorienne d'Anjouan et souvent en situation irrégulière, la survie s'organise autour de l'économie informelle et des petits boulots dans le BTP, l'agriculture ou les services.
- Culture gangster -
Le soir tombé, les filles restent à la maison, dans une chaleur étouffante sous la tôle qui emprisonne les 35°C de la journée. Elles s'occupent des plus petits et des tâches ménagères, puisant l'eau au point d'approvisionnement pour se laver et cuisiner.
"Amigo", "Maksimo", "De Lago"... Avec leurs pseudos de gangsters, les garçons, chaîne au cou et bagues bling bling aux doigts, torse nu, tiennent les murs ou s'allongent sur les capots des voitures, attendant de voir si se déclenche une "action", comme on dit dans le jargon.
"La violence est leur vengeance pour cette vie. Ils se disent qu'avec un chambo (coupe-coupe) en main, ils ont un statut dans le quartier", interprète Mario. "Pour eux, la violence devient un divertissement comme un autre, un jeu d'adrénaline".
Mario a sa recette anti-délinquance, loin de celles élaborées au ministère de l'Intérieur. "Il faut les isoler de ça et leur donner de la prestance, par la musique, le sport, même les réseaux. N'importe quoi pour avoir une réputation à tenir, juste leur apprendre à se faire respecter autrement".