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La possibilité désormais au Salvador de juger jusqu'à 900 criminels présumés au cours d'un même procès est vivement critiquée par les organisations de défense des droits de l'Homme, pour lesquelles il s'agit d'une mesure populiste visant à favoriser la réélection du président Nayib Bukele.
Une nouvelle loi adoptée mercredi autorise les procès collectifs pour les dizaines de milliers de membres présumés de gangs, placés sous les verrous depuis l'offensive menée contre eux dans le cadre d'un régime d'exception, décrété en mars 2022 par le Parlement à la demande de M. Bukele.
Il s'agit d'une "violation des droits de la défense", dénonce l'organisation Amnesty International (AI).
"Plus d'un an après le début du régime d'exception, nous constatons que les réformes juridiques associées à cette mesure répressive visent à éroder les garanties élémentaires de la procédure pénale", détaille auprès de l'AFP Erika Guevara Rosas, directrice d'AI pour les Amériques, évoquant le droit à un procès équitable et à la présomption d'innocence, des droits, selon elle, "violés de manière flagrante" par Nayib Bukele.
Près de 72.000 personnes accusées d'appartenir à des gangs criminels sont emprisonnées dans le pays suite à l'application du régime d'exception, qui permet des arrestations sans mandat.
Le président Bukele, 42 ans, a fait construire une méga-prison destinée à accueillir 40.000 criminels présumés. Considérée comme la "plus grande prison d'Amérique", il y règne un régime de détention sévère, également dénoncé par les organisations de défense des droits de l'Homme.
Le juge Antonio Duran, de la ville de Zacatecoluca (sud-est), pour qui le régime d'exception mis en place dans le pays vise "à obtenir des condamnations massives et rapides", s'insurge également contre la nouvelle loi sur les procès collectifs. "Cela fait partie de la campagne pour la réélection (du président Bukele) ce qui est inconstitutionnel", dit-il à l'AFP.
- Responsabilité individuelle -
La nouvelle loi "obéit à une situation électorale qui, à l'approche des élections, vise à convaincre ceux qui doutent du gouvernement", abonde le directeur exécutif de la Commission des droits de l'Homme du Salvador, Miguel Montenegro.
La constitution salvadorienne ne permet pas la réélection du président, mais la Cour suprême, dans un arrêt controversé, a donné le feu vert à M. Bukele, qui jouit d'une grande popularité du fait de sa "guerre" contre les gangs, pour briguer un second mandat en février 2024.
"Les procès collectifs contredisent un principe qui est celui de la responsabilité, la responsabilité est individuelle", note en outre le juge Duran, soulignant que la nouvelle loi "contraste avec les normes internationales" en matière de justice.
La nouvelle disposition établit que les personnes détenues dans le cadre du régime d'exception peuvent rester en prison jusqu'à 24 mois avant d'être jugées ou libérées. Samuel Ramirez, leader du Mouvement des victimes du régime, estime qu'elle "viole les droits de ceux qui n'ont rien à voir avec les gangs, car ils seront jugés de la même manière".
Sociologue de l'université d'El Salvador, René Martinez estime cependant qu'elle est bénéfique pour les Salvadoriens. "La chose la plus importante est le bénéfice que cela va apporter à la population (...) et c'est pourquoi les gens la soutiennent", dit-il à l'AFP.
Selon les sondages, neuf Salvadoriens sur dix soutiennent l'administration Bukele, disant se sentir plus en sécurité; en revanche, il n'y a pas de consensus sur les procès collectifs.
Virgilio Gutierrez, un ouvrier interrogé par l'AFP, se dit favorable à la nouvelle loi, estimant que des procès individuels feraient perdre "beaucoup de temps". Juan Mejia, un vendeur de billets de loterie, ne la soutient pas car "la loi dit que les (procès) doivent être individualisés".