Accueil Actu Vos témoignages

"C'est une double peine": Nora souffre d'endométriose, une maladie pas assez reconnue qui touche 1 femme sur 10

L'endométriose touche 10% des femmes, et pourtant, la maladie est toujours méconnue, et même taboue. Invalidante pour les femmes qui en souffrent, cette maladie impacte leur quotidien tout au long de leur vie. Les femmes touchées, les associations, et certains médecins, plaident pour une reconnaissance de l'Etat en tant que maladie chronique. Et demandent également une meilleure formation du corps médical à ce sujet, car le diagnostic est long: il faut entre 7 et 12 ans pour déceler une endométriose. Explications. 

"Cette maladie, c'est une double peine: on la subit, mais personne ne la voit". Nora, maman de 3 enfants, est atteinte d'endométriose, une maladie qui touche 1 femme sur 10 et qui est très handicapante au quotidien. "Je souffre comme des milliers de femmes mais je dois me taire car, nous, malades, ne sommes pas reconnues en Belgique", déplore-t-elle via le bouton orange Alertez-nous

Des symptômes multiples qui varient d'une femme à l'autre 

La gorge nouée et les larmes aux yeux, Nora raconte ce qu'elle ressent au quotidien à cause de la maladie: "Les choses qu’on savait faire avant, on ne sait plus les faire... On fait comme si tout allait bien mais ça ne va pas, on est diminuées parce qu’on a mal, et ce n’est pas que dans le ventre et pendant les règles, c’est tout le temps! On a mal dans les jambes, on a des douleurs dans les bras, des migraines terribles, et tout stress qu’on peut subir au quotidien impacte la maladie, c’est une double douleur, une chaîne sans fin... On est plus soi-même, notre corps n'est plus le même".

Afin de comprendre exactement ce qu'est cette maladie, et comment on la diagnostique, nous nous sommes rendus à la clinique de l'Endométriose de l'hôpital Erasme à Bruxelles, spécialisée dans la prise en charge des patientes atteintes. Le Dr Maxime Fastrez, directeur de cette clinique, explique: "Dans l’endométriose, la muqueuse interne de l’utérus, qui s’appelle l’endomètre, va proliférer à l’extérieur de l’utérus, à des endroits où il ne devrait pas être normalement, le plus souvent sur les organes de la cavité pelvienne, ce qui donne naissance à des lésions, et provoque des douleurs, et des problèmes d’infertilité".

Edition numérique des abonnés

Ce développement hors de l'utérus peut ainsi toucher les ovaires, les ligaments qui soutiennent l’utérus, et le péritoine. Dans les cas les plus sévères, plus rares aussi, l’endométriose peut envahir l’intestin, la vessie, l’uretère ou encore, le vagin. La maladie peut aussi provoquer "l'apparition de kystes, de cicatrices et d'adhérences fibreuses entre les organes de l'abdomen", détaille le site Vidal, référence sur l'information médicale en France.

Les douleurs liées à l'endométriose sont chroniques et multiples. Les symptômes varient d'une femme à l'autre, mais les principaux sont les dysménorrhées (douleurs de règle), des douleurs pelviennes, une dyspareunie (douleurs pendant les rapports), des troubles digestifs, une fatigue chronique, et une infertilité. Ces douleurs ont un impact sur la vie sociale, privée et professionnelle des femmes atteintes. Au total, 10% sont touchées par cette maladie, pourtant difficile à identifier. Dans notre pays, 855.000 femmes seraient concernées par cette maladie.

Errance médicale, diagnostic au bout de 12 ans... le parcours du combattant des malades atteintes d'endométriose

Nora a été diagnostiquée en 2021, après des années d'errance médicale à enchaîner les spécialistes. Déjà après avoir eu son deuxième enfant, elle ressentait des symptômes anormaux, qui étaient minimisés par les médecins, explique-t-elle: "Il y a 14 ans, j'ai eu des petits soucis: des règles qui duraient des mois, des douleurs atroces... Mais à cette époque-là, on m’avait dit que ce n’était rien, 'une petite pilule et c'est fini'". Nous sommes alors en 2009.

Mais c'est en essayant d'avoir un troisième enfant, peu après, que Nora se rend compte que quelque chose ne va pas. "On n'y arrivait pas alors que mes deux premiers sont arrivés sans aucun souci", explique-t-elle. La jeune maman décide alors de passer des tests. "Certains médecins, qui ne connaissaient pas la maladie, me disaient qu’il ne fallait pas presser les choses et que l’enfant allait arriver, alors que je sentais que ça n’allait pas, mon corps commençait à montrer des signes de la maladie".  

Il faut entre 10 et 12 ans pour poser un diagnostic

Il faudra attendre 2021, soit 12 ans plus tard, pour que Nora rencontre LA gynécologue qui la diagnostiquera. "Elle a suspecté une endométriose avec une échographie. Elle m’a alors prescrit une IRM, et là, j’ai enfin été diagnostiquée. Mettre un nom sur ce qu’on a et se rendre compte que ce n’est pas de notre faute, ça change tout".

L'endométriose est difficile à déceler, mais la maladie peut se manifester dès l'adolescence, sous la forme de règles douloureuses. On estime que deux-tiers des adolescentes souffrant de règles douloureuses pourraient présenter une endométriose. Sauf que la maladie passe presque toujours inaperçue, car en cas de règles douloureuses, une pilule contraceptive est fréquemment prescrite pour soulager les douleurs.

Mais cette prescription soulage également les douleurs liées à la maladie, ce qui explique qu'un certain nombre de jeunes patientes passent sous les radars de la détection. C'est principalement en raison de cette banalisation des douleurs liées aux règles que le diagnostic est long. En moyenne, cela prend entre 7 et 12 ans. 

Plus de formation du corps médical pour poser le diagnostic plus rapidement 

D'une manière globale, Nora dénonce un manque de connaissances autour de l'endométriose. Elle souhaiterait que les médecins soient mieux formés afin de pouvoir mieux conseiller les femmes touchées: "J'aimerais que la médecine avance, aujourd'hui, il faut entre 10 et 12 ans pour poser un diagnostic! C’est une évolution qu’il faut sur la maladie. Mais aussi que les médecins ne disent pas de bêtises, car il y a des choses qu’on nous dit, c’est horrible… Moi j’ai dû changer plein de fois de spécialistes avant de trouver un bon qui m’explique clairement ce que c’est la maladie. Et si le médecin n’est pas informé, à qui on peut faire confiance?", demande-t-elle. 

Beaucoup de médecins ne connaissent pas la maladie

L'asbl Endométriose Belgique œuvre justement pour plus de reconnaissance de la maladie dans le milieu médical. Maurane Hogne, vice-présidente de l'association, elle-même atteinte d'endométriose diagnostiquée au bout de 10 ans, explique: "C’est quand même 10 ans de souffrance sans pouvoir mettre de mots sur les douleurs, avec un manque de crédibilité par rapport à ces douleurs. On est 1 femme sur 10 à en souffrir, c'est énorme, et pourtant, il y a une errance médicale qui retarde le diagnostic, mais aussi le traitement, et donc l’endométriose a le temps de progresser dans le corps de la femme. Ça a des conséquences désastreuses", pointe-t-elle.

"Il y a beaucoup de médecins qui ne connaissent pas la maladie, et qui ne prennent pas au sérieux la souffrance des femmes. Il y a un tabou concernant les règles! On banalise et on minimise les douleurs que les femmes peuvent avoir, on leur dit que c’est normal d’avoir mal pendant les règles, mais en fait c’est pas tout à fait normal, il faut toujours investiguer", dénonce l'asbl. 

Pour le Dr Maxime Fastrez, si le diagnostic est long, c'est parce que "le symptôme principal, ce sont les douleurs de règle, et c'est difficile à évaluer". Il explique: "Le problème, c’est le long délai entre les premières plaintes des patientes, et le diagnostic. Ce délai peut être très important, car les symptômes ne sont pas faciles à identifier, et probablement qu’il y a un certain nombre de ces patientes qui ne sont pas suffisamment écoutées. Souvent, les patientes se plaignent pendant de nombreuses années avant que les praticiens aient la puce à l’oreille que peut-être ces douleurs sont le reflet d’une pathologie". 

Edition numérique des abonnés

Une reconnaissance de l'endométriose comme maladie chronique pour aider les femmes atteintes

Nora, comme beaucoup de femmes atteintes d'endométriose, aimerait que cette pathologie soit reconnue comme maladie chronique en Belgique. "L’Etat ne reconnaît pas la maladie alors l’employeur est encore plus démuni. On n'a pas le choix de venir travailler malgré les douleurs. Et c'est très compliqué à gérer, on doit souffrir et se taire, on est bloquées", dénonce-t-elle.

C’est une maladie qui est chronique, ça veut dire qu’on n’en guérit pas

Au travail, elle n'a droit qu'à 3 absences tous les ans. La médecine du travail ne peut rien faire pour Nora qui se sent abandonnée dans sa maladie. "C'est très frustrant, j'aimerais qu'on comprenne que quand on est malade, on ne fait pas semblant! Je suis dans un stress et des angoisses permanentes au boulot, porte de charges lourdes, mais je suis forcée de garder mon emploi" pour des raisons économiques évidentes. 

L'asbl Endométriose Belgique plaide également pour une reconnaissance de l'endométriose comme maladie chronique. Un statut qui permettrait d'avoir plus de droits pour les femmes atteintes, explique Maurane Hogne: "C’est une maladie qui est chronique, ça veut dire qu’on n’en guérit pas. On vit avec ça dans notre quotidien tout le long de notre vie de femme. Certains pays, dont l’Espagne, ont proposé un congé menstruel, nous on n’est pas pour à 100%. On plaide plutôt pour la reconnaissance de cette souffrance. C’est très compliqué au quotidien pour les femmes, au niveau de leur emploi, de leur scolarité, ça crée des absences, de l’inconfort, c’est très problématique pour elles". 

À la clinique de l'Endométriose de l'hôpital Erasme, les médecins sont également en faveur d'une reconnaissance, car cela permettrait de développer une stratégie globale de prise en charge des patientes: "Aujourd’hui, les traitements médicamenteux ne sont pas remboursés jusqu’à la fin de la vie reproductive de ces patientes. Les traitements paramédicaux ne sont pas toujours remboursés, en tout cas pas entièrement. La reconnaissance pourrait ainsi amener au développement d’une stratégie globale de prise en charge et de remboursement des interventions nécessaires pour cette pathologie", détaille Dr Maxime Fastrez. 

Edition numérique des abonnés

Des cliniques spécialisées dans la prise en charge et le diagnostic de l'endométriose 

Aujourd'hui, il n'existe pas de traitement qui permette de guérir de l'endométriose. On peut simplement la rendre plus confortable, via plusieurs moyens que détaille Dr Maxime Fastrez: 

  1. Les traitements médicamenteux qui mettent au repos le cycle menstruel comme la pilule contraceptive en continu ; 
  2. Les traitements chirurgicaux qui consistent à détruire les lésions d’endomètre qui poussent à l’extérieur de l’utérus via une ou plusieurs opérations ; 
  3. Et enfin, un certain nombre de traitements paramédicaux comme la kiné, l'osthéo, la psychothérapie, la sexothérapie, nécessaire à la prise en charge de la douleur.

Pour lui, une prise en charge multidisciplinaire est donc essentielle afin de vraiment aider les patientes. On retrouve ce type de prise en charge notamment dans les cliniques spécialisées dans l'endométriose, qui regroupent plusieurs spécialistes, comme des gynécologue et chirurgien de l'endométriose, des psychologues, des spécialistes de la fertilité, etc. 

Au total, il existe 6 cliniques spécialisées dans l'endométriose en Belgique: Erasme à Bruxelles, Clémontlégia & Lucerm-Citadelle à Liège, UZ Leuven à Louvain, Ambroise Pare à Mons et CHwapi à Tournai. Ces cliniques ont vu le jour grâce à l'initiative des hôpitaux et des médecins sensibilisés sur la question. "Mais mis à part ça, rien n'est organisé autour de l'endométriose dans notre pays pour le moment", confirme Dr Maxime Fastrez.

Edition numérique des abonnés

Pour soulager ses douleurs chroniques, Nora peut prendre des médicaments, notamment du paracétamol. Mais, "ça ne fonctionne pas trop", déplore-t-elle. Dans tous les cas, il n'existe pas de traitement propre à l'endométriose, mais des cachets qui peuvent soulager les douleurs, selon leur intensité. Parmi les comprimés efficaces, le Tramadol, un puissant antalgique: "On ne peut pas conduire après, on est assez stone, donc c’est vraiment en dernier recours. En dehors de ça, on n'a rien d’efficace qui nous soulage, à part la bouillotte…", nous explique-t-elle. 

"La seule chose qu’on nous prescrit, c’est la pilule en continu qui stoppe les règles, donc nous mettre en ménopause artificielle. Mais ça reste des hormones, c'est pas génial. Je suis pas convaincue et je pense que personne ne l’est", avoue Nora. 

Investir dans la recherche médicale pour trouver des solutions

C'est pourquoi l'asbl Endométriose Belgique pense qu'il faut investir davantage dans la recherche, pour trouver de nouveaux traitements ou façons de diagnostiquer la maladie: "Plus de moyens pour la recherche, c’est essentiel! Aujourd'hui, les traitements sont lourds, c’est fatiguant et handicapant. Je pense que le politique a un rôle à jouer dans la recherche, la sensibilisation de la maladie et la reconnaissance", estime Maurane Hogne.

En France par exemple, le gouvernement a mis en place une stratégie nationale de lutte contre l'endométriose, qui prévoit notamment d'investir dans la recherche, peut-on lire sur le site de l'assurance maladie. Celle-ci porte sur :

  • La recherche médicale et l'innovation, notamment avec "l'EndoTest", un test salivaire qui permettrait un diagnostic en quelques jours, mis au point par un laboratoire français ;
  • La mise en place de filières territoriales reliées à des centres de référence, permettant une prise en charge globale, tant sur le plan diagnostique que thérapeutique ;
  • La réduction du retard de diagnostic en englobant tout le corps médical: médecins de santé scolaire, médecins libéraux et radiologues ;
  • Et une meilleure prise en charge de la douleur.

En Belgique pour le moment, pas de plan de lutte. D'ailleurs, au mois de juin dernier, des patientes atteintes d'endométriose ont remis une lettre ouverte, signée par près de 9.000 personnes, au ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke. Avec cette lettre, elles souhaitent remédier aux lacunes des soins belges concernant cette pathologie. Et demandent, entre autres, que les ministres belges de la Santé ainsi que les associations de médecins se penchent rapidement, et en profondeur, sur un plan ambitieux pour améliorer les soins relatifs à l'endométriose, ainsi que le diagnostic. 

À lire aussi

Sélectionné pour vous