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Dans le petit village de Gratia, à quelque 60 km de Bucarest, Napoléon et Nadia Constantin font vivre la musique traditionnelle tzigane, lui de sa voix rocailleuse et de ses percussions sur un vieux baril, elle en ondulant son corps comme une danseuse égyptienne.
"C'est ça la musique traditionnelle tzigane. C'était la musique pour faire danser les ours avec lesquels j'ai moi-même dansé quand j'étais petite", raconte Nadia, 38 ans, qui doit son prénom à Comaneci, l'ex-star de la gymnastique, comme les parents de Napoléon se sont inspirés de l'empereur français.
Le même procédé a été appliqué à leurs cinq enfants, dont Clinton, en hommage à l'ancien président américain, qui n'hésite pas à jouer des cuillères pour accompagner ses parents.
Côté musique, rien n'est écrit. Le duo ne sait pas lire les notes. Et pas de violon, ni guitare, ni trompette... Juste un caisson de récupération, des cuillères, voire des cailloux, et des coups de talon.
Idem côté texte pour un couple à la limite de l'illettrisme.
Napoléon, petit homme de 44 ans au corps sec et au visage buriné, s'inspire de la vie de tous les jours, des souvenirs, de la musique roumaine mais aussi d'extraits rocks ou techno entendus à la télé. Il chante les douleurs et les joies d'une famille de 10 membres vivant dans trois pièces d'une maison basique, mais aussi de toute la communauté tzigane.
Devant lui, Nadia, belle brune au regard autoritaire et aux bras musclés, ondule son corps qu'elle assène de claquements de paumes. Avant de nouer autour de ses hanches un châle doté de piécettes pour apporter une couleur plus orientale.
Leurs visages s'éclairent de sourires et on peut y lire la joie d'un couple qui s'est formé 20 ans plus tôt grâce à la musique. "Napoléon travaillait alors dans une ferme, il a commencé à jouer sur son baril et moi, je me suis mise à danser", se souvient Nadia, insistant sur l'unicité de leur duo.
Depuis, la musique rythme leur vie, à la maison, chez les voisins, à des mariages --comme celui d'un frère de Nadia, lorsqu'un touriste belge a été séduit par la prestation du couple et leur a fait enregistrer une cassette à Bucarest.
"Ce n'est que trois ans plus tard qu'un impresario roumain est venu nous chercher pour organiser un concert au Why Not (club bucarestois)", se souvient Nadia, sans oublier "tous ceux qui ont depuis profité de nous".
Eux qui n'avaient jamais rêvé d'immigrer, comme le font tant d'autres, ont soudainement connu le voyage. Avec pour première sortie du pays: une invitation pour un festival à Versailles en 2004!
"C'est le plus beau souvenir. Le château, les jardins et surtout les gens chaleureux... Mais depuis, on est allés en Belgique, au Luxembourg, en Angleterre, en Suisse", hurle Napoléon, exhibant des coupures de journaux conservés dans un sac de supermarché, tandis que l'épouse parle des cachets européens qui améliorent leur quotidien.
Le mois prochain ce sera Rome et Milan, dans une Italie marquée depuis plusieurs mois par des sentiments anti-roms.
"Toutes ces nouvelles d'Italie nous vexent, car pour un ou deux cas tous les tziganes sont blâmés", insiste Nadia, tandis que son époux reprend le rythme sur son baril 'produits pharmaceutiques made in China', celui qui voyagera dans la péninsule "s'il résiste car il en a déjà explosé plus de 200!".
"On va s'y produire avec la fierté d'être des représentants tziganes. On veut montrer que ce ne sont pas tous des voleurs", assure-t-elle.
Avec le secret espoir que la musique adoucisse les moeurs...
