Accueil Actu

Thaïlande: difficile rééquilibrage entre armée et palais après la mort du roi

Les militaires au pouvoir en Thaïlande se retrouvent face à un défi inédit dans l'histoire moderne du royaume: définir un nouvel équilibre du pouvoir avec le successeur du roi Bhumibol Adulyadej, décédé jeudi après 70 ans de règne.

Durant de sa longue présence sur le trône, Bhumibol avait eu le temps de mettre en place des liens solides avec l'armée.

Celle-ci s'est souvent retrouvée le bras armé du palais, remettant au pas, par des coups d'Etat cycliques, des gouvernements civils considérés comme des menaces pour "l'institution suprême" qu'est la monarchie.

Ainsi, après le coup d'Etat de mai 2014, réalisé au nom de la défense de la monarchie, le chef de l'armée, le général Prayut Chan-O-Cha, avait été adoubé par le roi Bhumibol.

- Un lien non-acquis -

Mais ces liens tissés par le roi défunt sont intimement liés à sa personnalité, pas à l'institution royale en elle-même, très faible à l'arrivée sur le trône de Bhumibol en 1946.

"Cette relation est spécifique au roi défunt", explique Thitinan Pongsudhirak, politologue de l'université Thammasat de Bangkok, qui la décrit comme une "symbiose" inédite.

Le lien s'est construit au fil des décennies, notamment lors la lutte contre les groupuscules communistes dans les années 1960, période où le roi, en treillis, faisait des visites très médiatisées les camps militaires dans la jungle.

"Cela va être très difficile pour le nouveau roi de succéder à son père et d'établir des liens solides avec les militaires", ajoute Paul Chambers, spécialiste américain de l'armée thaïlandaise.

D'autant plus que le prince Maha Vajiralongkorn, qui passait jusqu'ici le plus clair de son temps en Europe, est loin de faire l'unanimité dans le pays, mais aussi parmi les généraux et responsables du palais selon les analystes.

- Une armée divisée-

Pour l'heure, le général Prayut Chan-o-Cha, chef de la junte depuis le coup d'Etat de 2014, occupe le devant de la scène.

C'est lui qui est apparu lors des adresses télévisées ayant suivi l'annonce du décès du roi. C'est aussi lui qui a annoncé jeudi soir que le prince avait besoin de "temps" afin de se préparer à devenir roi.

Le prince Maha Vajiralongkorn, 64 ans, est pourtant un militaire de formation. Mais son grade de général est honorifique et il n'a jamais servi à ce rang.

Au-delà des questions suscitées par la personnalité du prince, la difficulté tient au fait que l'armée est composée de diverses factions avec lesquelles il faut trouver un consensus.

Le général Prayut fait ainsi partie du groupe dit des "Tigres de l'Est", promus au sein de la hiérarchie militaire sous l'influence de la reine Sirikit, femme de Bhumibol, aujourd'hui très affaiblie.

Quant au prince héritier, qui vivait en marge des réseaux de ses parents, "il a créé sa propre garde prétorienne, forte de quelque 5.000 hommes, il y a cinq ans", rappelle Paul Chambers.

- Eminence grise du palais-

Prem Tinsulanonda est un personnage clef pour comprendre le subtil équilibre qui régnait jusqu'ici entre palais et armée. A 96 ans, ancien général et ex-Premier ministre était le principal conseiller du roi défunt.

Très actif, il est décrit par les analystes comme l'éminence grise du palais, tirant les ficelles de la scène politique, notamment des coups d'Etat militaires.

Son peu d'estime pour le prince héritier fait l'objet de toutes les spéculations, mais n'est jamais évoquée en public, en raison d'une loi de lèse-majesté drastique.

- Rôle clef à venir-

Les analystes interrogés par l'AFP s'accordent sur le fait que les militaires au pouvoir ne sont pas près de quitter le pouvoir, même dans si des élections sont bien organisées en 2017.

"Il va se passer un très long moment avant qu'on assiste à la moindre démilitarisation en Thaïlande", prédit Paul Chambers.

Le coup d'Etat de 2014 visait principalement à "pouvoir superviser la succession", rappelle David Streckfuss, historien spécialiste de la Thaïlande. Et les militaires ne rentreront pas dans leurs casernes tant qu'ils ne sont pas sûrs que le prince Maha Vajiralongkorn, désigné comme son successeur par le roi défunt, est incontesté.

"La junte militaire et le haut commandement (militaire) joueront un rôle clef pendant cette délicate période de transition", pense lui aussi Thitinan, de l'université Thammasat.

À la une

Sélectionné pour vous