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L'ex-directeur de Charlie Hebdo se confie à RTLINFO: "Penser être du côté du bien, il n’y a rien de plus toxique dans le cerveau d’une personne"

Philippe Val, l’ancien directeur de Charlie Hebdo, s’est confié à Christophe Giltay à l’occasion de la sortie de son livre "C'était Charlie", aux éditions Grasset. Il revient bien sûr sur les attentats de Charlie, mais aussi sur des figures comme Cabu et Wolinsky, et milite pour le maintien de la "joie de vivre" en dépit du terrorisme. Il exprime également son souhait de voir Charlie continuer, même si l'insouciance et la désinvolture des débuts ne sont plus de mise.

Pourquoi avoir écrit ce livre? Pour Philippe Val, il fallait rétablir la vérité. Pour lui, le Charlie Hebdo dépeint dans la presse après les attentats ne collait pas à la réalité.

"Après l’attentat de Charlie Hebdo, ça a été comme une double peine. En lisant les mémoires de Salman Rushdie, on se rend compte qu’il lui est arrivé la même chose. Non seulement on est victimes, mais en plus on se fait pourrir par d’anciens amis. Une gauche radicale, un monde intellectuel bizarre, un monde journalistique qui nous en veut peut-être d’avoir défendu leur liberté à leur place et de nous avoir laissé seuls à le faire... Ils ont recouvert Charlie Hebdo de choses diffamatoires, suspicieuses, mensongères. Quand je lisais les journaux, je voyais un autre journal que celui que Cabu et moi avions refondé en 1992."

"Je voyais une bande de personnes un peu 'aventuriers cons' qui avaient publié les caricatures de Mahomet pour se faire du pognon et se barrer avec la caisse."

"Nous ne sommes plus que 2 ou 3 survivants de cette aventure. Je me suis dit que pour l’Histoire, il fallait que je témoigne de ce qu’était ce journal et quelles étaient ses motivations et celles de son équipe. Comment et sur quoi on travaillait, quel rôle on a joué dans le débat intellectuel dans la société française, quels ambitions on avait."


Charlie Hebdo défendait les musulmans d'Europe

Sur le rapport qu’a entretenu le journal avec l’islam, Philippe Val adresse comme un message à ceux qui considéraient Charlie Hebdo comme une publication foncièrement anti-islam.

"On n’a pas été chercher l’islam, c’est l’islam radical qui est venu nous chercher. On a fait le compte par curiosité : sur tous les dessins de religion qu’on a pu faire, 5% seulement étaient consacrés à l’islam."

Très actif lors de la guerre du Kosovo, quand le journal a pris une tournure engagée, Charlie Hebdo à l’époque "défendait les musulmans d’Europe. On se battait pour éviter qu’ils soient exterminés. Aujourd’hui on nous dit le contraire. On n’a juste pas remarqué qu’on défendait l’humain au-delà de la religion. Et on a trop oublié ça. Parce qu’on était sur place, on a travaillé en ex-Yougoslavie pendant la guerre."


La gauche a changé vers moins de libertés

Philippe Val raconte également comment il a vu la gauche changer. Son éducation l’a conduit "à être toujours dans l’antiracisme", avec cette idée du début du siècle dernier "d’une gauche qui conquiert les libertés." Puis tout à basculé. "Et tout d’un coup quand les caricatures sont publiées, arrive une chose étonnante comme deux murs qui nous arrivent dans la tête. Un, les immigrés d’origine musulmane qu’on a toujours défendus et qui se mettent pour certains d’entre eux à vouloir votre mort. Et puis une gauche radicale qui vous flattait, qui vous faisait des mamours, qui voulait que vous soyez avec eux", et qui tourne également le dos à Charlie Hebdo.

"Ces deux mondes tout d’un coup vous sont d’une hostilité radicale et commencent à vous diffamer sans limite, parce que vous représentez tout d’un coup de mal pour eux. Et dans une société où beaucoup de gens pensent être du côté du bien, c’est très violent, parce que le bien il n’y a rien de plus toxique dans le cerveau d’une personne. Quand quelqu’un est persuadé être du côté du bien, c’est un animal dangereux. Et comme les gens aux extrêmes sont persuadés d’être du côté du bien, ils sont sans limite. Tous les coups sont bons, puisqu’il faut exterminer le mal. Tout d’un coup, vous faites partie d’une société où il y a le bien et le mal et manque de pot, vous êtes du mauvais côté."


Daesh est une forme de nazisme

Depuis les attentats de Paris, la question de la peur de profiter de la liberté de notre société est arrivée sur le devant de la scène. "Il ne faut pas abdiquer. On se doit vis-à-vis de nous-même à s’avouer qu’on jouit de belles choses et le dire aux autres, qu’on n’est pas des martyrs", estime Philippe Val.

La liberté offerte à nos concitoyens qui mène à des beautés folles, comme ce que peut représenter la musique, "c’est ça que Daesh veut casser. Quand on nous dit que "c’est notre retour de flamme colonial", si ça l’était, ils auraient des revendications post coloniales, d’indemnisations et de justice sociale. Qu’est-ce qu’ils veulent ? Que les filles soient voilées, que les homosexuels soient persécutés et les Juifs tués. Ce ne sont pas des revendications post coloniales, c’est totalement idéologique. C’est une forme de nazisme mutante dans la mondialisation."


Est-ce désormais encore possible que Charlie Hebodo survive ?

"Il le faut, parce que si ça tombe, c’est laisser Daesh planter son drapeau là. Mais il y aura un 3ème Charlie qu’il faudra inventer. Je n’ai pas la recette mais Riss, le directeur désormais, est quelqu’un qui a toujours eu une très belle vision de ce journal. (...) Je lui fais confiance, il va inventer un 3ème Charlie. Mais les difficultés sont énormes. Aller-venir librement, journal ouvert où lecteurs peuvent venir, c’est fini, ils ne peuvent plus se permettre ça."

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