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"Je lance un dernier appel à l’aide pour retrouver mon fils. Je ne l’ai plus vu depuis deux ans", confie Alexandre via notre bouton orange Alertez-nous. Un message rempli de souffrance et d’espoir qui émane d’un père désespéré.
Cet habitant de Bastogne ne sait plus quelles démarches entreprendre pour pouvoir resserrer son garçon dans les bras. Pour préserver son anonymat, nous appellerons son enfant Nelson. Aujourd’hui, c’est un adolescent âgé de 16 ans.
"Il n’arrive plus à trouver ses mots"
Submergé par l’émotion et la colère, Alexandre éprouve des difficultés à s’exprimer et à raconter son histoire. "Il n’arrive plus à trouver ses mots. Il a l’impression d’avoir perdu son fils, qu’on lui a pris son fils et surtout que la justice s’en fiche complètement. Il y a des moments où on a l’impression d’être dans un film, ou plutôt un cauchemar", révèle Nelly, son épouse. C’est elle qui nous explique la genèse de cette situation familiale douloureuse, en dévoilant les contenus des différents jugements et documents officiels. Ils illustrent un conflit parental comme souvent compliqué et divergeant selon la partie. Nous nous limitons donc aux faits les plus importants.
Après sept ans de mariage, Alexandre se sépare de sa première femme en 2009. Ensemble, ils ont un fils, Nelson. Le divorce est prononcé en 2012. Dans un premier temps, les parents trouvent un arrangement à l’amiable concernant la garde de l’enfant. En 2013, le tribunal de la famille de Liège, saisi par la maman, cadre cette garde alternée. Suite à ce jugement, l’hébergement principal de Nelson est chez sa maman.
Un hébergement secondaire pendant plusieurs années
"Mon mari avait la garde de son fils un weekend sur deux et la moitié des vacances scolaires", précise Nelly. "Pendant neuf ans, cela s’est passé comme ça. Elle a toujours fait des histoires pour un oui ou pour un non, notamment quand je suis arrivée dans la vie de mon mari en 2011. Il y a toujours eu des conflits et des excuses pour venir le rechercher plus tôt", affirme Nelly qui s’est mariée avec Alexandre en 2012.
Mais, selon elle, tout se passe bien au sein de leur famille. "Nous avons trois enfants ensemble. Nelson était ravi. Il existait une réelle complicité avec son papa", assure-t-elle.
En juin 2019, début d'une bataille judiciaire
Il y a deux ans, la situation s’envenime. En juin 2019, la mère de l’adolescent saisit à nouveau le tribunal de la famille pour réduire le droit d’hébergement du père. Elle demande également de partir en vacances à l’étranger avec son fils. Le voyage est autorisé, avec l’accord d’Alexandre, mais la demande de réduction du droit d’hébergement est rejetée.
"Des fortes tensions existent entre les parents. L’enfant se plaint de cette situation déplorable", constate alors le juge dans son jugement.
On était dans une téléréalité. Cela tournait à quelque chose d’invraisemblable
Le 9 juillet, Nelson est chez son père à Bastogne. Il est prévu qu’il retourne au domicile de sa mère le 15 juillet. Mais elle vient le chercher ce jour-là. "La maman avait encore une fois organisé des activités sur le temps de garde de mon mari qui lui a dit "non" pour la première fois. Scandalisée, elle appelé la police qui lui a dit qu’elle n’était pas en droit", raconte Nelly.
"Mon ex-épouse a fait semblant de partir (…) Nelson a finalement pris ses affaires et est parti avec elle en voiture", témoigne Alexandre dans une plainte déposée au commissariat le lendemain des faits.
"Nous avons fait les démarches pour le récupérer mais quand mon mari s’est présenté chez son ex-épouse, il s’est fait taper dessus par sa belle-famille. La mère, la grand-mère et la tante de Nelson se sont jetées sur lui. On était dans une téléréalité. Cela tournait à quelque chose d’invraisemblable", déplore Nelly. Alexandre confirme une "bagarre et parle de kidnapping".
"Après les jours de garde de sa maman, il n’est jamais revenu"
Une version contestée par la maman qui évoque des coups échangés entre "les parents, les grands-parents et l’enfant". La police est finalement intervenue et l’adolescent âgé alors de 14 ans est retourné chez son père jusqu’au 15 juillet. "Après les jours de garde de sa maman, il n’est jamais revenu", regrette Nelly.
Le 24 juillet, la maman de l’adolescent assigne à nouveau le père devant le premier juge afin de faire entendre Nelson et suspendre l’hébergement secondaire du papa. Le 1er août, le jugement tombe: le juge estime que l’audition de Nelson ne doit pas avoir lieu et condamne la mère à payer au père une somme de 250 euros par jour chaque fois qu’il sera constaté une non-présentation de l’enfant chez son père. Un suivi psychologique pour l’enfant est entériné.
Mais Nelson ne viendra pas chez Alexandre les deux premières semaines du mois d’août comme prévu. Le contact entre l’adolescent et son père s’étiole. Selon Nelly, son mari ne peut plus le contacter. "Quand il est parti, il avait un GSM mais son numéro a changé. Et nous sommes bloqués sur les réseaux sociaux", affirme-t-elle.
C'est dingue. Il y a une condamnation, il y a des jugements mais on a tout à fait le droit de ne pas les respecter
Face à cette situation, Alexandre est désemparé et tente par tous les moyens de pouvoir revoir son fils. "Mon mari a déposé plainte un nombre incalculable de fois, que ce soit pour non-présentation d’enfant ou pour des coups, attestés par des certificats médicaux. Mais il n’y a jamais eu de suite", soupire Nelly.
De son côté, la maman fait appel contre les astreintes à son encontre. "Elle est complètement au-dessus des lois. C’est ça qui est dingue. Il y a une condamnation, il y a des jugements mais on a tout à fait le droit de ne pas les respecter, sans être sanctionné. C’est en toute impunité", déplore la belle-mère de l’adolescent.
L'enfant pris dans une sorte de conflit de loyauté, explique son avocat
L’avocat d’Alexandre souligne la situation délicate dans laquelle se trouve son client. "S’il veut faire exécuter l’astreinte, cela implique à chaque fois de faire constater des manquements, donc il faut que la police se déplace, il faut faire venir un huissier, il faut établir le fait que l’enfant n’est pas présenté", rappelle Maître Fabian Martalo.
Au vu de son expérience, il indique que, de manière générale, c’est assez facile de prendre un enfant à partie et de le mettre dans une sorte de conflit de loyauté. "On lui dit ‘regarde à cause de ton père, je m’appauvris’. Théoriquement, l’astreinte est une voie intéressante mais en matière de relations personnelles, c’est toujours un problème", souligne Me Martalo.
Ce genre de conflit parental n’est pas exceptionnel selon lui. Et il mène à des situations compliquées : "Lorsque l’autre parent ne veut pas danser le tango avec le premier, alors qu’il faut être deux pour danser le tango, c’est toujours évidemment difficile de faire exécuter l’hébergement secondaire".
Sa mère s’est "servie" de lui comme d’un soldat pour détruire le papa
Alexandre se sent victime d’"aliénation parentale" car visiblement Nelson ne souhaite pas reprendre contact avec lui. "Maintenant, on est avec un adolescent, où c’est déjà une période difficile, qui est resté deux ans dans le cocon maternel. Mais qu’est-ce qu’on dit à Nelson ? Pour nous, sa mère s’est "servie" de lui comme d’un soldat pour détruire le papa et changer complètement la vision de l’enfant vis-à-vis de son père puisque jusque-là tout allait bien. Un jour avant, Nelson avait offert un cadeau à son papa avec ses propres sous et il m’avait demandé d’être complice pour lui faire une surprise", assure Nelly.
"Nous sommes sur un groupe Facebook d’aliénation parentale. Nous sommes des milliers de parents de ce cas, à bout de force. Certains parlent d’en finir, d’autre de grève de la faim et d’autres encore d’actions mettant leur vie en danger pour être enfin entendus", confie Alexandre par écrit.
L'aliénation parentale, un terme complexe
Pour Me Martalo, comme dans beaucoup de dossiers, un problème surgit quand les parents ne communiquent pas. "Quand un des deux souhaite pourrir les relations, il instrumentalise l’enfant parfois consciemment, parfois inconsciemment", indique l’avocat. "Par exemple, on lui montre des sms en les sélectionnant. On ne montre que les messages qui peuvent être interprétés négativement et en plus on souffle à l’oreille de l’enfant une interprétation négative. Progressivement, avec ces petites choses du quotidien, l’enfant commence à avoir une image noircie d’un des deux parents. A ne jamais faire d’une façon générale si on veut structurer le psychisme de son enfant. Il faut au contraire toujours le laisser en dehors de cela", conseille-t-il.
Pour un ancien juge de la jeunesse à Charleroi, il faut toutefois se méfier du terme aliénation parentale qui est complexe. "Dans certaines séparations, un des parents gère mal ou souffre tellement qu’il utilise tous les moyens de l’aliénation et dénigre les capacités de l’autre parent sans raison objective", indique-t-il.
Selon lui, cette expression est rarement utilisée dans les tribunaux."Ce terme est d’ordre psychologique et non juridique. Beaucoup de justiciables et d’avocats l’utilisent à tort et à travers. Du coup, on s’en méfie. C’est un peu bateau", estime cet ancien juge.
Quels conseils au parent qui se sent aliéné ?
Benoît Van Dieren, psychologue et spécialiste en séparations familiales, confirme que l’aliénation parentale est un syndrome controversé."Il fait toujours autant polémique qu’auparavant dans tous les milieux. Son usage inapproprié peut enflammer le conflit parental déjà existant", souligne cet expert. Dans un premier temps en tout cas, il préfère dès lors parler de "risque de rupture d’un lien parent-enfant" afin de pointer le problème sans accuser personne.
Même si les conseils à donner au parent qui se sent aliéné varient d’une personne à l’autre en fonction du contexte, ce psychologue recommande de ne pas "prononcer le terme d’aliénation parentale, toujours fermement rejeté par la personne concernée même s’il est fondé". "Nous sommes ici dans un registre passionnel presque inaccessible à la raison. Cela passe un peu mieux si on utilise par exemple le terme d’emprise ou d’impact sur l’enfant, mais sans garantie de convaincre pour autant."
"Nous sommes abasourdis": la cour d'appel rend son arrêt fin avril
Nelly insiste sur le fait qu’ils ne voulaient pas saisir la justice. "Nous ne voulions pas que Nelson soit mêlé au conflit de ses parents puisqu’il a été entendu par un juge. C’est sa mère qui a organisé tout ça et nous on se retrouve avec des frais invraisemblables. On est à plus de 15.000 euros", indique la mère de famille.
Et après des mois d’attente, accentuée par la crise sanitaire, Alexandre et son épouse découvrent avec stupeur l’arrêt prononcé par la cour d’appel de Liège fin avril dernier, suite à l’appel lancé par la mère de Nelson contre les astreintes.
"Dans cet arrêt, il y a une suppression de l’hébergement secondaire de mon client qui garde son autorité parentale puisqu’elle reste conjointe", indique Maître Martalo.
"Nous sommes abasourdis par cette décision. La cour a choisi la facilité. Puisque on ne peut rien forcer et que madame n’obéit à rien, laissons la situation comme elle est. La cour ne propose même pas la mise en place d’un suivi par des professionnels pour recréer le lien entre le père et l’enfant. C’est une véritable aberration et nous n’avons plus aucune confiance en la justice pour être protégé, protéger les enfants de la destruction psychologique et faire appliquer les lois. C’est un non-sens, le sentiment d’injustice est énorme", témoigne le papa de Nelson. De son côté, la maman de l’adolescent exprime sur les réseaux sociaux un sentiment totalement opposé,de reconnaissance et de soulagement.
Nous sommes dans un schéma extrêmement triste et dramatique pour le père et l'enfant
"Si un des parents ne veut pas, on peut arriver à des situations dramatiques comme celle-ci où on a l’impression que la cour ne peut presque pas faire autrement, bien qu’elle motive de façon détaillée son arrêt qui est une vérité judiciaire. Elle constate une situation de fait, un lien détricoté entre père et fils", commente Maître Martalo.
"Nous sommes donc dans un schéma extrêmement triste et dramatique tout à fait péjoratif pour le père et également l’enfant je pense qui a besoin de son père", estime l’avocat.
Aujourd’hui, Alexandre et Nelly mettent tous leurs espoirs sur le tribunal correctionnel. "Pour notre avocat, le correctionnel aurait dû être mis en place directement. Il est en train de rédiger une plainte qui va être remise à un juge d’instruction. Pour lui, la non-présentation d’enfant c’est un délit pénal. La justice aurait dû le faire depuis le début", regrette la mère de famille qui est enceinte. "Nous attendons notre quatrième enfant, une petite fille pour le mois de juillet. Malheureusement, on pense que Nelson n’est même pas au courant", soupire-t-elle.