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En première ligne face au réchauffement climatique et préoccupés par des lendemains incertains, les évacués du village canadien de Lytton, détruit fin juin par un incendie en plein épisode de canicule extrême, portent un regard amer et détaché sur les élections législatives anticipées du 20 septembre.
Située à 250 km de Vancouver dans l'Ouest canadien, cette localité a fait la une des journaux pour avoir enregistré pendant trois jours consécutifs un record, jusqu'à atteindre 49,6°C avant d'être détruite à 90% par les flammes, qui ont tué deux personnes.
Plus de deux mois plus tard, la ville est déserte, les habitants n'y ont toujours pas accès, barrages de police à l'appui. De rares voitures circulent sans possibilité de s'arrêter le long de sombres palissades qui masquent vaguement les restes noircis: ici des voitures carbonisées, un peu plus loin les fondations d'une maison, parfois des troncs d'arbres brûlés.
Installée sur la banquette d'une pâtisserie de Lillooet, à 60 km au nord de Lytton, Micha Kingston regarde sa fille de 5 ans jouer avec deux poupées, parmi les rares effets personnels qu'elle a pu sauver de l'incendie.
"C'est bizarre parce que j'ai l'impression d'être une réfugiée et ce n'est pas quelque chose que vous associez au Canada", confie-t-elle à l'AFP.
- "Rien ne change" -
Micha Kingston et sa fille font partie des 250 habitants de Lytton qui ont dû évacuer les lieux précipitamment. Au total, près de 33.000 personnes ont été déplacées ces derniers mois en Colombie-Britannique en raison des incendies.
Environ 1.600 feux ont été enregistrés dans la province, faisant de cette saison - qui n'est pas terminée - déjà la troisième la plus dévastatrice en termes d'hectares brûlés. Environ 200 incendies sont toujours actifs, dont le feu qui a ravagé Lytton.
Plusieurs centaines de personnes sont par ailleurs décédées dans la région au début de l'été en raison du phénomène appelé "dôme de chaleur", qui aurait été "presque impossible" sans le réchauffement climatique causé par les humains, selon des experts.
"Tout le monde parle du changement climatique mais rien ne change jamais. Donc c'est facile d'être désabusée par les politiques", confie Micha Kingston.
Cette mère célibataire, qui vote en principe soit pour le Nouveau parti démocratique (NDP, gauche), soit pour le Parti Vert, a envisagé ne pas voter pour la première fois, submergée par le sentiment que "cela ne change rien".
A une semaine des élections, le suspense est total: les sondages donnent les libéraux du Premier ministre Justin Trudeau et les conservateurs d'Erin O'Toole dans un mouchoir de poche.
- "Déconnectée" -
"Je ne suis pas en colère, je suis plus déconnectée qu'autre chose", soutient l'infirmière de 39 ans qui survit avec sa fille grâce aux bons alimentaires du gouvernement et vit sous une tente plantée chez des amis.
Une chose est sûre pour elle, les conservateurs ne sont pas à la hauteur notamment sur les enjeux climatiques.
Mais pour le député conservateur de la circonscription, le principal problème est surtout que cette élection, "après l'été que la Colombie-Britannique vient de passer, est une trahison envers les résidents".
Des centaines de personnes déplacées cherchent un endroit où vivre cet hiver et ne savent pas comment elles vont pouvoir voter, affirme à l'AFP Brad Vis, en campagne pour sa réélection.
Elections Canada, l'organisme chargé du scrutin, explique "travailler avec les autorités locales pour s'assurer que les gens pourront voter" et les encourage à le faire par correspondance.
A Kamloops, à 170 km environ au nord-est de Lytton, devant la chambre d'un motel où il vit depuis l'incendie, Neil Dycke estime que l'on ne peut pas "blâmer les politiciens" pour les incendies.
"Personne" ne savait qu'un incendie allait se déclarer à Lytton, avance-t-il, chemise ouverte dans la pesanteur d'un après-midi. "Il y a un nombre terrible de feux de forêt cette année", déplore-t-il, "beaucoup plus qu'en temps normal et proches des villes aussi".
A quelques kilomètres de Lytton, assise dans une chaise de camping devant son van aménagé, Christine Abbott évoque avec émotion son évacuation de cet été, une première pour cette Canadienne de 56 ans.
Les larmes aux yeux, elle raconte la perte de la maison dans laquelle elle vivait depuis 2012 avec son mari, Vince, et qui appartenait au père de ce dernier.
"Les dirigeants devraient se soucier des gens et je ne pense pas que ce soit ce qui se passe", fustige-t-elle.
Justin Trudeau "était trop occupé pour venir nous voir, alors je pourrais être trop occupée pour voter", prévient-elle.