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"Je suis tombé sur cet article et je trouve ça ignoble. J'en ai entendu parlé nul part ailleurs, pouvez-vous faire un reportage sur ce sujet ?", nous a demandé une personne via le bouton orange Alertez-nous.
L'article en question est publié par le média FL24 (France-Libre 24). Il présente de manière biaisée, mensongère et trompeuse, une asbl américaine "Men Having Babies" qui donne des conférences aux couples homosexuels qui veulent avoir un enfant. L'association les épaule dans leurs démarches (éducation, besoin financier, etc.) et les met en relation avec des mères porteuses. Ces couples trouvent donc un support précieux dans cette étape charnière de la vie: devenir parent.
Partagé environ 130 fois sur le réseau social Facebook depuis sa publication le 8 novembre dernier, l'article a circulé sur des groupes complotistes belges. Son titre joue sur le sensationnel : "Un marché aux bébés pour gays à Bruxelles. L’acheteur peut choisir la race, le sexe, la couleur des yeux." Les conférences de "Men Having Babies" sont présentées comme étant "un salon international à bébé pour riches homosexuels" où les "acheteurs" déboursent "quelques dizaines de milliers d'euros et peuvent choisir sur un catalogue, la race, le sexe, la couleur des cheveux ou des yeux de la marchandise".
FL24: un site de désinformation financé par un groupe d'extrême droite... polonais
En regardant de plus près le "média" FL24, on se rend compte que cette manière orientée de traiter l'information est habituelle pour ce site web lié à l’extrême droite polonaise. Il est même connu pour propager de la désinformation aux quatre coins du globe, et surtout dans les pays francophones.
Partir d'une info vraie et la transformer pour faire passer une opinion
Selon une enquête de EU DisinfoLab et de Politico, le contenu de FL24 est "fréquemment copié-collé de sources traditionnelles comme l'Agence France-Presse (AFP) ou Ouest-France, mais il est modifié pour concorder avec des idées anti-establishment, anti-migrant, anti-islam et climatosceptiques (...) Des mots sont changés et des phrases entières sont supprimées (par FL24) pour que le contenu concorde avec l'histoire racontée", détaille l'enquête.
Si le texte est repris de médias fiables, c'est tout simplement pour gagner en légitimité. Le but est de changer le sens de l'information pour qu'elle fasse passer un message bien précis.
L'AFP a dû, à plusieurs reprises, décrypter des articles relayés par FL24 afin de contrer les fausses informations qu'ils contenaient. Comme ici, où l'AFP démontre que la Bulgarie n'a pas ouvert un barrage pour aider la Grèce à stopper les migrants comme l'insinuait FL24, qualifiant cette action "d'exemple de solidarité européenne" (ou encore ici et là). Depuis, le site de désinformation FL24 a supprimé cet article. Mais cette fausse information a quand même eu le temps de se répandre très vite, relayée par de nombreux sites, comme la chaîne grecque Star TV, les sites français Valeurs Actuelles et Fdesouche, un porte-parole de Génération identitaire (un groupuscule d'extrême droite français) ou encore, de nombreux sites anglophones.
Réalisée au début de l'année 2020, l'enquête de EU DisinfoLab et de Politico est édifiante. Elle révèle que le site France-Libre 24 a des apparences bien trompeuses: du nom du site en passant par le logo Tour Eiffel jusqu'à la langue utilisée dans ses "articles" et les sujets relayés, tout est fait pour faire croire à une plateforme d'actualité française.
Capture d'écran de la page d'accueil du site de désinformation FL24.
Pourtant, la réalité est bien différente. "Le site, qui publie régulièrement des 'articles d'actualité' sur la politique et les affaires sociales françaises, est en fait financé et géré par un groupe d'activistes polonais d'extrême droite", précise l'investigation.
D'après EU DisinfoLab et Politico, le groupe d'extrême droite qui gère le site entretient des liens étroits avec le parti politique d'extrême droite Polonais, le Konfederacja, et de l'un de ses membres, l'ancien député du Parlement Européen, Janusz Korwin-Mikke. Cet ex-eurodéputé est l'une des figures les plus controversées de la politique polonaise: il est notamment connu pour ses prises de positions conservatrices, sexistes et eurosceptiques.
En 2015, l'élu d'extrême droite avait ainsi fait un salut hitlérien en pleine séance au Parlement. L'année dernière, il avait lancé des remarques sexistes: "Bien entendu, les femmes doivent gagner moins que les hommes, parce qu'elle sont plus faibles, elle sont plus petites et elles sont moins intelligentes." Et quelques années plus tôt, il avait comparé l'arrivée massive d'immigrants en Europe à un "déversement d'excréments". Cet homme serait pourtant l'un des principaux investisseurs du site de désinformation FL24. Selon l'enquête, cette plateforme appartient à la société "6S Media", enregistrée à Varsovie, en Pologne.
"6S Media" partage la même adresse que "5S Media", ainsi que plusieurs actionnaires. Et en y regardant de plus près, on constate que cette société gère plusieurs médias polonais dont le magazine d'extrême droite, "Najwyzszy Czas!", co-créé par Janusz Korwin-Mikke, l'un des principaux investisseurs du site FL24.
Le résultat est une plateforme très partisane qui attire en moyenne 300.000 visites mensuelles. Son audience se trouve principalement sur les réseaux sociaux, générant ainsi 46% du trafic du site et rassemblant plus de 40 000 membres sur sa page Facebook. C'est d'ailleurs sur ce même réseau social que FL24 sévit le plus: son contenu y étant relayé à 82%, en parti par des groupes complotistes français et belges.
Capture d'écran de SimilarWeb, une plateforme qui analyse les sites internet: FL24 génère environ 300.000 visites par mois, sa plus grosse audience est la France mais le site touche tous les pays francophones de l'UE et hors UE.
FL24, lancé en juin 2019, montre comment les mouvements d’extrême droite européens ont évolué, travaillant au-delà des frontières pour faire avancer un programme commun et changer les mentalités.
Ce type de site, qui joue sur la désinformation, met en évidence l’un des défis les plus importants dans la lutte contre les "fake news" en ligne: identifier qui est derrière ces contenus clivant et agir quand les auteurs travaillent au sein même de l’Union Européenne.
Mais ça pose aussi le problème des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), qui sont les principaux acteurs de la désinformation en ligne puisque c'est sur les réseaux sociaux et Google que circulent la plupart des "articles" de ce type.
Selon une récente étude de l’institut américain Global Disinformation Index, Google assurerait toujours 60 % des revenus publicitaires des sites propageant de la désinformation dans l’Union européenne, avec des sommes versées qui ont dépassé la barre des 40 millions d’euros.
Capture d'écran de l'étude réalisée par Global Disinformation Index montrant les sommes versées par des entreprises de la tech comme Google aux sites de désinformation.
Un nouveau plan européen pour lutter contre les sites de désinformation
Pour lutter au mieux contre la désinformation au sein de l'UE, la Commission Européenne a mis en place un nouveau Plan d'action européen pour la démocratie (Edap). Présenté au public ce mardi 2 décembre, il repose sur trois grands piliers: réguler la publicité politique, assurer le pluralisme et la liberté des médias et fournir des stratégies solides contre la désinformation en ligne.
"Notre démocratie est victime de plusieurs menaces: propagation de fake news, utilisation malveillante de données personnelles et tentatives de manipulation de nos prises de décisions. Notre plan a donc pour objectif de défendre et d'encourager une participation constructive des citoyens en leur donnant les moyens de faire des choix librement dans l'espace public, sans être manipulés", précise la vice-présidente de la Commission chargée des valeurs et de la transparence, Vera Jourová, qui est à l'initiative de ce plan d'action.
"Nous devons mettre à jour les règles pour tirer parti des possibilités offertes par l'ère numérique et relever les défis qui l'accompagnent. Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux devraient être des outils, ils ne devraient pas servir à nous manipuler", continue-t-elle.
Ces dernières années, la démocratie au sein de l’Union Européenne s’est vue confrontée à de nombreux défis, notamment celui de l’ingérence étrangère dans les élections (comme on a pu le voir avec l'ingérence russe lors des élections américaines de 2016), mais aussi celui de la diffusion d’informations trompeuses et manipulatrices sur internet (comme le fait FL24 par exemple).
"L'intégrité des élections est menacée: des efforts concertés pour répandre des informations fausses et trompeuses, notamment de la part d'acteurs étrangers, ont été observés à plusieurs reprises pour manipuler les électeurs", est-il écrit dans le communiqué de presse de ce nouveau plan d'action.
Pour lutter contre ces ingérences et la désinformation en ligne, la Commission prévoit notamment d'introduire une nouvelle législation sur la transparence de la publicité à caractère politique ainsi qu'une révision des règles de financement des partis politiques européens.
Capture d'écran du site de la Commission européenne et de sa "fiche information" du Plan d'action européen pour la démocratie.
D'autres outils, en complément de ceux déjà existants, seront mis à disposition de l'UE afin qu'elle puisse "contrer les opérations d'influence et les ingérences étrangères". Un nouveau protocole prévoyant de lourdes sanctions financières pour les acteurs d'ingérences étrangères ou d'influences sera présenté dès 2021 afin de dissuader quiconque de jouer sur la désinformation.
"Les actions qui seront mises en place visent à améliorer la capacité de l'UE et des États membres à lutter contre la désinformation, ainsi qu'à renforcer les obligations et la responsabilisation des plateformes en ligne et à donner aux citoyens les moyens de prendre des décisions en connaissance de cause", détaille le communiqué officiel.
Un autre texte européen doit être proposé dans les prochaines semaines, le "Digital Services Act", visant à mieux encadrer et réguler les contenus publiés sur les plateformes, notamment les GAFAM.
Ce texte ambitieux a pour but de s'attaquer à la domination des géants du numérique et à leurs politiques en matière de modération et de circulation de "fake news".
L'UE a bien compris les enjeux et difficultés d'une désinformation intra-européenne et étrangère, et veut s'armer pour y faire face et protéger nos libertés individuelles.
Le plan d'action doit être mis en place au plus tôt, dès le début de l'année 2021. La Commission procédera ensuite à un réexamen en 2023, soit un an avant les élections au Parlement européen. Elle s'interrogera ainsi sur la nécessité ou non d'adopter des mesures supplémentaires et sur l'efficacité du plan d'action.