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La justice française refuse définitivement l'extradition de dix anciens militants italiens

"La fin d'un long combat": la Cour de cassation a rejeté définitivement mardi les demandes d'extradition de dix anciens militants italiens d'extrême gauche installés en France depuis des décennies et réclamés par Rome pour des faits qualifiés de terrorisme lors des "années de plomb".

"C'est un immense soulagement. Justice est rendue dans le calme et le droit", a réagi Me Irène Terrel, avocate de sept d'entre eux dont la médiatique Marina Petrella.

"C'est la fin d'un long combat" et "la consécration judiciaire et définitive de cet asile qui a duré trente ou quarante ans", a-t-elle ajouté, confiant ressentir "beaucoup d'émotions".

"L'enracinement depuis plus de trente ans en France continue à faire échec à la demande d'extradition de l'Italie et c'est heureux. La protection des droits fondamentaux comme la simple humanité commandaient la solution", a souligné Me Patrice Spinosi, conseil de Rafaele Ventura.

"Ma première pensée émue ne peut aller qu'à toutes les victimes de cette période sanguinaire et à leurs proches, qui ont attendu pendant des années, de même que tout le pays, une réponse de la justice française", a réagi le ministre italien de la Justice Carlo Nordio.

M. Nordio a demandé aux avocats français de l'Etat italien "d'explorer tout recours juridique possible (...) afin d'obtenir les extraditions sollicitées", a annoncé l'un d'eux, Me William Julié.

Ces dix anciens militants, deux femmes et huit hommes âgés de 62 à 79 ans, qui ont refait leur vie en France, étaient menacés d'extradition depuis deux ans.

Ils se croyaient protégés par la doctrine Mitterrand: le président socialiste (1981-1995) avait pris l'engagement de ne pas extrader les activistes ayant rompu avec leur passé.

- "Années de plomb" -

Mais au printemps 2021, Emmanuel Macron avait décidé de favoriser la mise à exécution des demandes d'extradition de ces six ex-Brigades rouges et quatre ex-membres de groupes armés, renouvelées un an auparavant par Rome.

L'Italie les réclamait pour des reliquats de peine liés à des condamnations pour leur implication dans des faits à caractère terroriste commis de la fin des années 1960 au début des années 1980.

Epoque de violentes luttes sociales, ces "années de plomb" ont été marquées par une surenchère entre extrême droite et extrême gauche et se sont soldées par plus de 360 morts attribués aux deux bords, des milliers de blessés, 10.000 arrestations et 5.000 condamnations.

Après avoir examiné chacun des dix cas, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris avait émis un avis défavorable à leur remise à l'Italie le 29 juin 2022.

Pour motiver sa décision, la présidente s'était appuyée sur le respect du droit à la vie privée et familiale ainsi que sur le droit à un procès équitable, prévus par les articles 8 et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Le procureur général Rémy Heitz avait formé des pourvois contre cette décision, estimant qu'un nouveau complément d'information aurait dû être ordonné pour s'assurer que ceux qui ont été jugés en leur absence bénéficieraient d'un nouveau procès s'ils étaient extradés.

- "Echec de la vengeance d'Etat" -

Il considérait également que l'extradition de ces dix anciens activistes ne constituerait pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale.

La Cour de cassation a rejeté mardi ces pourvois, "considérant que les motifs adoptés par les juges, qui relèvent de leur appréciation souveraine, sont suffisants".

"L'avis défavorable aux demandes d'extradition est dès lors définitif", a précisé la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire dans un communiqué.

Cette décision marque "l'échec de la vengeance d'Etat souhaitée par l'Italie avec la complicité de la France", a dit Me Jean-Louis Chalanset, avocat d'Enzo Calvitti.

Les avocats des militants dénonçaient "l'acharnement" de l'Italie et "un dévoiement du droit" pour des raisons politiques.

La question de la présence en France d'anciens activistes italiens empoisonne les relations diplomatiques entre Paris et Rome depuis des décennies.

Emmanuel Macron avait qualifié au printemps 2021 l'arrestation des anciens activistes de "moment historique" et réaffirmé son souhait qu'ils soient "jugés sur le sol italien" après la décision de la cour d'appel.

Hasard du calendrier judiciaire, la justice française a définitivement renoncé mardi à extrader vers l'Italie un autre Italien, le militant altermondialiste Vincenzo Vecchi, condamné dans son pays pour des violences lors du G8 de Gênes en 2001, le parquet général de Lyon ayant renoncé à se pourvoir en cassation.

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