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Réfugiés en sous-sol dans l'Est de l'Ukraine en proie à la guerre, Oleksandre et Lioudmila Mourenets passent plus de temps ensemble en ce moment qu'ils ne l'ont jamais fait durant leur 40 ans de mariage.
Et la tension grimpe.
"Tu parles beaucoup", lance Oleksandre, 68 ans, à Lioudmila, 66 ans, alors qu'elle veut expliquer à un visiteur étranger combien il faut d'eau pour fabriquer de la vodka maison.
Ensuite, lorsque Lioudmila le corrige quand il tente de remercier le visiteur, Oleksandre la coupe carrément et gronde: "Qui est le maître ici?".
Des éclats devenus routiniers au fil des 10 mois passés dans le sous-sol surpeuplé de leur immeuble à Siversk. La ville était naguère en pleine ligne de front et reste défigurée par les bombardements dont les grondements plus lointains continuent de faire trembler les fenêtres jour et nuit.
"Nous avions l'habitude de passer du temps à notre travail et nous ne nous voyions que le soir. Maintenant, nous nous disputons davantage", observe Oleksandre qui réparait des véhicules ferroviaires avant-guerre.
"Parfois, je dis: +tais-toi, femme+ mais elle ne se tait pas", raconte-t-il, sous l'oeil amusé de son épouse confirmant implicitement qu'elle n'entend pas obtempérer à ses ordres machistes.
Leur couple est loin d'être le seul en Ukraine à être secoué par ces temps de guerre.
Dans tout la région orientale du Donbass, les combats conjugués aux températures glaciales de l'hiver forcent les couples à passer de longs moments enfermés ensemble. Cela pèse lourd pour certains mais peut en consolider d'autres.
- Le poids de l'hiver -
Ville minière au milieu des champs, Siversk a subi l'été dernier des bombardements des forces russes qui ont mené plusieurs assauts infructueux.
Les forces ukrainiennes ont réussi à les repousser mais habitations, écoles et usines ont été réduites à l'état de gravats. La plus grande partie de la population -12.000 habitants avant la guerre- a fui.
Dans les abris en sous-sol comme celui occupé par Oleksandre et Lioudmila, le bruit constant des bombardements sur la ligne de front, aujourd'hui à une dizaine de kilomètres plus à l'est, rappelle que Siversk reste à portée de tir.
Le manque de liaisons téléphoniques, l'accès limité à de l'eau potable et le fait qu'un poële à bois constitue l'unique source de chaleur viennent ajouter au stress pour les couples.
"L'été, nous faisions la cuisine dans la rue. On avait toujours peur mais au moins on pouvait sortir", dit Lioudmila.
Avec la chute des températures, elle s'est mise à lire des romans de science-fiction pour pouvoir s'évader mentalement - et faire une pause dans les disputes avec son mari.
"C'est bien que notre appartement soit tout près", souligne-t-elle, montrant l'escalier qui grimpe. "Je peux facilement monter et prendre un autre livre".
- "Je la protège" -
Oleksandre et Tamara Sirenko, eux, ont trouvé un autre moyen pour évacuer le stress: couper et ranger du bois pour le feu.
Les huit mois passés ensemble dans l'abri ont quand même laissé des traces.
"Au début, oui, c'était difficile d'être constamment ensemble", remarque Oleksandre. "Comme on dit: +Si tu as de la bouillie tous les jours, quelques jours après tu veux de la soupe+".
"Le temps passé dans le sous-sol ne nous a pas rapprochés", ajoute-t-il en riant. Il montre leurs lits jumeaux séparés: "Nos lits sont restés là où ils étaient".
Sur un ton plus sérieux, il reconnaît que la vie aurait été bien plus triste sans la compagnie de Tamara.
"Au moins, on est avec quelqu'un d'autre ici au sous-sol même si elle ne fait que râler", lance-t-il. "Sinon, on reste assis comme un sourd-muet."
Il prend soin de sa femme, diabétique, qui nécessite chaque jour des bandages sur sa jambe gonflée.
"Je ne laisse pas ma femme s'effondrer. Je la protège, pour qu'elle ressente moins la guerre et l'anxiété."
"Elle sait que je suis un farceur, je blague avec tout le monde qu'il y ait la guerre ou pas. Je ne la laisse pas être de mauvaise humeur".
Tamara hoche la tête pour approuver et assure: "Je ne pourrais pas me débrouiller avec ça toute seule".
Hormis les disputes, tous deux reconnaissent avoir plus de chance que ceux qui auxquels la guerre a arraché un mari ou une femme.
De l'autre côté de la ville, Irina Pavlova, 56,ans, a passé le week-end à tenter d'obtenir un certificat de décès pour son mari Viktor.
Il a été tué en juillet à Siversk dans une attaque russe de bombes à sous-munitions pendant qu'elle-même avait pu s'enfuir dans l'ouest de l'Ukraine où elle reste basée.
"C'est tellement dur pour moi", confie-t-elle à l'AFP en pleurant, racontant son premier retour chez elle depuis la mort de son mari. "Il sait que je suis là", ajoute-t-elle: "Je veux rester près de lui".