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"Lorsque l'on prend le volant après avoir consommé de l'alcool ou des drogues et que l'on tue quelqu'un, on ne peut pas parler d'acte involontaire", s'agace auprès de l'AFP le chef cuisinier Yannick Alléno.
Depuis la mort de son fils de 24 ans, renversé par un chauffard ivre et sous l'emprise de stupéfiants il y a un an à Paris, il est un ardent partisan de l'introduction d'un délit d'"homicide routier" dans la loi.
L'association Antoine Alléno à peine créée en septembre 2022 en mémoire du jeune disparu, le chef multi-étoilé a chargé l'universitaire Didier Rebut et l'avocat Pierre Cornut-Gentille, tous deux éminents pénalistes, de plancher sur la possibilité d'introduire dans le code pénal un "délit d'homicide routier".
Objectif: créer une "infraction autonome" qui permettrait de "mieux qualifier" les actes des chauffards alcoolisés ou drogués afin que les familles des victimes se sentent "reconnues" et que les peines encourues soient véritablement "dissuasives". Un combat qui rejoint celui mené depuis plusieurs années par d'autres associations de victimes.
Selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, "la conduite en état d'ivresse est la deuxième cause de mortalité sur les routes, après la vitesse", et "dans les accidents mortels, 12% des conducteurs contrôlés sont positifs aux stupéfiants".
En 2022, plus de 3.500 personnes sont décédées sur les routes françaises, dont près de 700 seraient dues à la consommation de stupéfiants.
Actuellement, les actes des conducteurs sous l'emprise de drogue ayant causé le décès d'une personne tombent sous le coup de "l'homicide involontaire".
"Cette qualification est une double peine pour les familles des victimes", s'indigne Jean-Yves Lamant, président de la Ligue contre la violence routière, qui milite également pour un changement législatif.
"S'il n'y a pas volonté de tuer, il y a en amont une série d'actes volontaires qui ont mené à l'homicide", plaide-t-il, regrettant par ailleurs le "laxisme des juges", qui "n'appliquent jamais les peines maximales".
L'homicide routier sous l'emprise d'alcool ou de stupéfiants expose son auteur à une peine de 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende ou à 10 ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende quand il a été commis avec une autre circonstance aggravante. Mais les peines prononcées sont généralement moins lourdes.
"Les magistrats se mettent davantage à la place de l'auteur de l'accident que de la victime", déplore Julien Thibault, président de l'association Victimes et Citoyens qui reconnaît "l'intérêt" de la notion d'homicide routier "si cela peut avoir pour effet de mieux faire appliquer la loi".
- Echo politique -
La proposition fait son chemin parmi les politiques. A la suite du grave accident causé par l'humoriste Pierre Palmade sous l'emprise de stupéfiants, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, avait déclaré en février réfléchir à la mise en place d'un "délit d'homicide routier".
Le député LR des Alpes-Maritimes Eric Pauget a déposé début avril une proposition de loi en ce sens. Son texte prévoit de créer "une peine intermédiaire entre l'homicide involontaire et l'homicide volontaire". Il le présentera dans les semaines qui viennent à la déléguée interministérielle à la sécurité routière, Florence Guillaume, ainsi qu'au garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. Le député espère "un consensus politique" au sein des deux chambres parlementaires pour aboutir à une modification de la loi.
Pour Me Jean-Baptiste Iosca, "l'arsenal juridique est déjà assez important et pluriel pour que les auteurs soient sanctionnés à hauteur du délit", nul besoin de modifier la loi.
"Si la peine est trop lourde, elle n'est plus comprise et donc plus respectée", s'agace l'avocat, qui a fait de la relaxe d'auteurs de délits routiers sa spécialité. "Quand vous perdez un être cher, la justice n'est jamais rendue", relève-t-il.