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Emmanuel Macron, qui a de nouveau refusé mardi de saisir une main tendue par les syndicats, semble s'isoler de plus en plus, protégé par les institutions de la Ve République qui contribuent, aussi, à l'enfermer dans un tête-à-tête avec la colère de la rue.
L'intersyndicale opposée à la réforme des retraites a appelé l'exécutif à mettre en place une "médiation" pour trouver une sortie de crise.
"Nul besoin de médiation", a balayé le porte-parole du gouvernement Olivier Véran à l'issue d'un Conseil des ministres présidé par le chef de l’État.
Quant à la demande de mettre le texte sur "pause", formulée par le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger, elle reste rejetée en haut lieu.
Le dialogue de sourds continue donc: le président assure tendre la main aux syndicats, mais sur tous les sujets sauf la retraite à 64 ans, dont la suspension est pourtant leur préalable.
- "Dictateur élu" -
"Si on part sur une pause d'un mois et demi et une médiation, au final on ne fait pas passer la réforme", décrypte une source gouvernementale.
L'exécutif a donc choisi de "faire le dos rond" en attendant que le Conseil constitutionnel rende sa décision sur la réforme, d'ici moins d'un mois, et dans l'espoir que les manifestations s'apaisent, explique cette source.
Si le chef de l’État peut se permettre de "faire le dos rond", c'est qu'il est largement protégé, en France, par la Constitution de la Ve République, qui lui attribue des pouvoirs souvent jugés supérieurs à ceux du président des États-Unis.
Cette "présidence toute-puissante" est "la chose qui s'approche le plus d'un dictateur élu dans le monde développé", raillait ce week-end Simon Kuper, chroniqueur au Financial Times, quotidien d'un pays, le Royaume-Uni, où deux Premiers ministres ont été emportés en moins de quatre mois par une succession de polémiques.
Rien de tel en France.
Le régime dit "semi-présidentiel" prévoit en effet que le Premier ministre est responsable devant le Parlement, contrairement au président.
Or, "dans la pratique, c'est le président le véritable chef de l'exécutif", relève Camille Bedock, chercheuse à Sciences-Po Bordeaux. "On est dans une situation où la personne qui dirige le pays est irresponsable politiquement."
Emmanuel Macron ne disait pas autre chose en affirmant, au moment d'opter pour l'adoption de sa réforme sans vote au Parlement grâce à l'article 49.3 de la Constitution, qu'il n'était pas "celui qui risque sa place ou son siège".
- Fissure -
Mais ainsi protégé, il tend aussi à s'isoler.
Ces derniers mois, il ne quitte que rarement le 55, rue du Faubourg Saint-Honoré. Certains dans son entourage décrivent des "amis" qui n'osent lui dire en face quand il fait fausse route.
Et des fissures apparaissent dans son camp: le MoDem, son premier allié, a apporté mardi son soutien à la médiation réclamée par les syndicats mais rejetée par la Macronie.
Une impression d'isolement que les oppositions s'empressent d'amplifier, à l'instar du patron des socialistes Olivier Faure qui s'en prend à "un président complètement sourd et aveugle qui ne comprend pas son pays".
Or cette critique fait étonnamment écho à ce qu'Emmanuel Macron, alors candidat à l'Elysée, dénonçait dans son livre "Révolution" avant la présidentielle de 2017.
"Ce qui alimente la colère ou le rejet de nos concitoyens, c'est la certitude que le pouvoir est aux mains de dirigeants qui ne leur ressemblent plus, ne les comprennent plus", estimait-il, contestant la lecture qui voit dans les institutions la source des maux de la France.
Lui président, promettait-il, n'imposerait rien sans "convaincre". En 2023, lui président maintient coûte que coûte une réforme rejetée par une écrasante majorité de Français, après avoir utilisé toute une série d'outils constitutionnels à sa disposition pour l'imposer.
"Rien n'oblige le président au pouvoir à avoir une vision aussi verticale de son rôle", estime toutefois la politologue Camille Bedock, évoquant "une pratique" des institutions "qui s'est confirmée année après année" et à laquelle Emmanuel Macron a apporté sa pierre avec son "rapport très conflictuel aux corps intermédiaires, qu'il s'agisse des syndicats ou des autres pouvoirs comme le Parlement".
Pour elle, cela conduit à un "blocage". D'autant que l'exécutif "n'a pas pris la mesure" du paysage politique issu des législatives, avec "trois pôles totalement irréconciliables", et continue de "gouverner comme s'il avait encore une majorité absolue".
Résultat, dit la chercheuse, la situation dégénère en "un face à face entre le pouvoir et la rue, parce que les corps intermédiaires n'ont pas vraiment pu jouer leur rôle" et qu'il n'existe "plus d'arène pour une confrontation canalisée".