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Encore méconnu il y a deux mois en Thaïlande, Pita Limjaroenrat a connu une ascension fulgurante grâce à son programme de rupture qui séduit la jeunesse, mais le système pro-armée qu'il dénonce lui bloque les portes du pouvoir.
Le député du mouvement progressiste Move Forward a perdu jeudi un premier vote au parlement pour devenir Premier ministre, la faute à l'opposition de sénateurs nommés par l'armée qui jugent ses idées trop radicales.
Pourtant, son profil, unique dans le royaume, a su fédérer les Thaïlandais, qui ont exprimé dans les urnes en mai leur ras-le-bol des généraux au pouvoir depuis une quasi-décennie : charismatique, télégénique, à l'aise en anglais, divorcé, Pita (42 ans) aspire à moderniser un pays qui donne l'impression de stagner.
"Je suis Pita Limjaroenrat, le prochain Premier ministre de la Thaïlande", a-t-il clamé au lendemain de l'éclatant succès de son parti, plébiscité par plus de 14 millions d'électeurs.
- Bloqué aux portes du pouvoir -
Mais l'euphorie a été de courte durée. Entre résistances du Sénat et poursuites judiciaires le visant, l'élan du quadragénaire s'est heurté aux murs d'un système verrouillé par les élites conservatrices royalistes qui l'accusent de remettre en cause la place du roi dans la société.
Son projet phare de réformer la loi sur la lèse-majesté, un tabou en Thaïlande où le monarque jouit d'un statut de quasi-divinité, a suscité une levée de boucliers qui a servi de justification aux sénateurs pour rejetter sa candidature.
"Je ne vais pas abandonner", a-t-il lancé après le vote perdu jeudi, en rappelant que son plan de changer le texte réprimant la diffamation royale n'allait pas à l'encontre des intérêts de la monarchie.
Malgré le soutien d'une coalition de huit partis, qui inclut le puissant Pheu Thai associé à l'ancien Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra, Pita a besoin du soutien d'une soixantaine de sénateurs pour briser le plafond de verre - seuls treize d'entre eux l'ont approuvé jeudi.
Le député fait aussi l'objet d'une enquête au sujet d'actions qu'il possèdait dans une chaîne de télévision au moment de la campagne, ce qui est interdit par les législateurs. La commission électorale, qui a mené l'enquête, a recommandé sa suspension de son siège de parlementaire.
En cas de condamnation par la Cour constitutionnelle, il risque d'être disqualifié et banni de la vie politique durant 20 ans.
Dans une autre affaire, la Cour constitutionnelle a accepté la plainte d'un avocat accusant Pita et Move Forward de vouloir "renverser" la monarchie.
Son jeune parti, Move Forward, est né des cendres de Future Forward, qui avait fait une percée dans les urnes en 2019 avant d'être dissous. Le mouvement a confirmé son ascension, dans la foulée des manifestations massives de 2020 pour plus de démocratie.
Dans le monde politique thaïlandais, dominé par des figures vieillissantes, Pita, qui a été désigné comme l'un des "50 célibataires les plus séduisants" du pays en 2008, est en quelque sorte une anomalie.
Coqueluche de la jeunesse, ce père de famille éduqué en Nouvelle-Zélande et aux Etats-Unis inspire parfois à ses partisans une hystérie digne d'une popstar.
Diplômé de Harvard, il s'est lancé dans les affaires, mais a dû subitement rentrer en Thaïlande à 25 ans pour reprendre les rênes de l'entreprise familiale à la mort de son père.
Il a par la suite assuré la direction de la filiale thaïlandaise de l'application de transport et de livraison de nourriture, Grab, avant de se lancer en politique et d'être élu député en 2019.
La semaine dernière, la commission anti-corruption a révélé que sa fortune s'élevait à 2,4 millions de dollars, et comprenait notamment une collection de montres d'une valeur de 162.000 dollars.
- Fan de Taylor Swift -
En 2012, il a épousé l'actrice de télévision thaïlandaise Chutima Teepanat, avec laquelle il a une fille de sept ans et dont il est divorcé depuis 2019.
Sa fille a occupé une place importante dans la campagne, accompagnant son père sur scène après les discours, pour le plus grand plaisir des foules.
Sur ses réseaux sociaux, suivis par un million d'utilisateurs, Pita partage des images de lui et de sa fille portant des t-shirts assortis et mangeant des glaces ensemble.
Il a fait sauter les compteurs cette semaine lorsqu'il a invité sur Instagram la mégastar américaine Taylor Swift à ajouter Bangkok sur la liste de sa tournée mondiale.
"Hey Taylor! Je suis un grand fan de toi. Sache-le, la Thaïlande est de nouveau sur la bonne voie pour être totalement démocratique après que tu as dû annuler la dernière fois à cause du coup d'État", a-t-il tweeté, faisant référence à la prise de pouvoir militaire de 2014 par le général Prayut Chan-o-cha.
Rassemblant ses partisans à Bangkok le week-end dernier, Pita a promis qu'il ne cesserait pas de lutter pour la démocratie.
"Si vous ne reculez pas, je ne reculerai pas", a-t-il lancé.