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Au cours de trois heures d'interrogatoire mardi matin devant la cour d'assises de Colmar, Jean-Marc Reiser a inlassablement répété les mêmes éléments de défense déjà martelés lors de l'enquête, reconnaissant des coups fatals à Sophie Le Tan, mais rejetant toute intention homicide.
"Je suis bien conscient de la douleur que j'ai infligée à la famille, je sais bien qu'elle ne pourra jamais me pardonner". Avant même la première question, l'accusé prend la parole, pour exprimer une forme de compassion à l'égard des proches de l'étudiante, disparue le 7 septembre 2018.
"J'aimerais bien revenir en arrière. J'ai de profonds regrets, je ne peux que demander pardon à la famille, mais je sais que ça ne sert à rien", poursuit Jean-Marc Reiser qui, pour l'occasion, a quitté son habituel tee-shirt gris pour une chemise.
Sur leurs bancs, les parties civiles, venues bien plus nombreuses que les jours précédents, ne manifestent aucune réaction.
Commence alors une véritable confrontation entre la présidente de la cour, Christine Schlumberger, et celui qui est soupçonné d'assassinat, jugé en récidive criminelle après une première condamnation à 15 ans de réclusion en 2003 pour viol et agression sexuelle.
La magistrate reprend le fil de l'instruction judiciaire, longue de près de trois ans, conclue puis rouverte après des aveux, et se penche sur les précédents interrogatoires du suspect.
"Vous avez été entendu à six reprises par la juge d'instruction, en plus de la reconstitution", pointe la présidente. "Il n'y a pas un interrogatoire qui fasse moins de 26 pages."
- "Réponses de juriste" -
Elle rappelle les justifications alambiquées de l'accusé aux questions "chirurgicales" de la juge d'instruction, mais aussi sa connaissance affutée du dossier et, parfois, ses "réponses de juriste", comme lorsqu'il s'agit de distinguer un assassinat d'un homicide volontaire ou de coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
"Oui, j'ai fait du droit", explique celui qui s'autorise parfois à corriger la présidente sur des points de détail du dossier. "Comme quoi, ça mène à tout", réplique froidement celle-ci.
Elle revient sur les premières versions livrées par l'accusé, qui a longtemps réfuté toute implication, jusqu'à l'absurde, malgré les preuves ADN retrouvées sur la scie utilisée pour démembrer le corps.
"Sur le moment je ne savais pas quoi dire. C'était stupide. J'étais dans un système de déni", expose Jean-Marc Reiser, presque contrit.
Mais sur l'existence d'un projet criminel organisé, anticipé, l'accusé se montre indéboulonnable, et dément que son projet de sous-louer son appartement ait pu servir à attirer des jeunes femmes dans un piège.
"Vous pensez qu'un loueur sérieux donne des rendez-vous bidons, utilise plusieurs lignes (téléphoniques), des dates et des annonces différentes", s'étonne Christine Schlumberger.
- "Je connais des gens qui font pareil".
- "Cela ne correspond pas au comportement habituel d'une personne qui voudrait louer son bien. Vous l'admettez ?"
- "C'est votre point de vue".
- "C'est peine perdue" -
Ce jeu de questions-réponses se poursuit toute la matinée, Jean-Marc Reiser ayant toujours une bonne raison à faire valoir. Les somnifères qu'il détenait ? Prescrits par son médecin pour ses troubles du sommeil. Les multiples lignes téléphoniques ? Plus simple que d'aller acheter des recharges de crédit. Les échanges avec des locataires potentielles quasi-exclusivement féminines ? Les étudiantes sont "plus soigneuses" que leurs homologues masculins.
L'accusé va même jusqu'à tenter de retourner à son profit les éléments de l'enquête qui ont permis de remonter jusqu'à lui, pour contester la préméditation : "Si vous voulez assassiner quelqu'un, vous n'utilisez pas un téléphone avec lequel vous appelez des connaissances, vous ne postez pas d'annonce sur internet", remarque-t-il. "Vous me qualifiez de génie du crime, mais un génie du crime ne serait pas dans le box aujourd'hui".
Après cette passe d'armes, l'avocat général, lui, passe son tour, et ne pose étonnamment aucune question. "Je pense que c'est peine perdue", se justifie-t-il simplement.
"C'est votre dernière chance", termine alors l'avocat de la défense, Me Emmanuel Spano. "Estimez-vous avoir tout dit ?".
"J'ai tout dit, dans les moindres détails", lui assure son client. "Je ne tue pas les gens par plaisir. Je n'ai pas voulu tuer Sophie Le Tan, je n'ai rien prémédité en ce sens."