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"Comment se faire entendre autrement que par la violence?", demande obstinément Biré Doucouré, 18 ans, à son auditoire. A Clichy-sous-Bois, un atelier improvisé interroge le rapport entre les jeunes des quartiers populaires à la police, et son lien rompu.
La mort de Nahel M., tué par un policier lors d'un contrôle routier, et l'embrasement des banlieues, a chamboulé le programme d'une vingtaine de jeune âgés entre 15 et 20 ans de Seine-Saint-Denis et Seine-et-Marne, venus participer pendant une semaine à une formation axée sur le décryptage de l'information à la Maison de la Jeunesse, organisée par l'association Square.
Dans la cour, autour d'un cercle, chacun revient sur les nuits d'émeutes.
"Casser, c'est montrer un mécontentement", estime Djibril, 15 ans, originaire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis).
"C'est peut-être pas la meilleure manière de s'exprimer mais quand on parle normalement, le gouvernement a moins tendance à nous écouter alors qu'abîmer, cela va plus les activer à venir nous écouter", abonde son ami Sedik.
Avec son groupe, ils ont rédigé des propositions pour "améliorer les relations entre les jeunes et la police".
"Il y en a certains qui vont avoir la mentalité : +Pas la police+ dans la cité, donc il faudrait créer un lien dès le plus jeune âge", selon Djibril.
Pour cela, "il faudrait faire connaître le métier de policier lors de sorties scolaires comme on visite la caserne des pompiers, on pourrait le faire dans un commissariat", avance l'adolescent qui propose aussi le développement des centres de loisirs jeunes de la police nationale (CLJ).
Cette structure existe dans sa commune où "les jeunes et policiers font des activités ensemble et racontent leurs parcours".
Pour le groupe d'ados, la formation des policiers est aussi "insuffisante". "Il n'y a pas beaucoup de critères pour rentrer dans la police", ricane l'un d'entre eux.
"On doit leur apprendre à être moins sévère, savoir dialoguer avec les jeunes, tirer sur les roues pour un refus d’obtempérer et agir de la même manière peu importe l'endroit", énumère Sedik pour qui "la police va être plus douce au centre de Paris ou aux Champs-Elysées par rapport à celle qui traîne dans les banlieues".
"J'ai l'impression que dans leurs formations, on les a habitués à être durs avec ceux de la Seine-Saint-Denis, c'est stéréotypé comme quoi on est +des racailles+, on fait des bêtises alors qu'en soi, il peut y en avoir partout", ajoute Djibril.
-"génération 2000"-
"La génération 2000 a du caractère", analyse Sébé Coulibaly, qui co-anime l'atelier avec son association Ladies Squad, qui promeut l'émancipation notamment des jeunes filles à travers le sport.
"De génération en génération, les jeunes sont de plus en plus exigeants, ne laissent plus rien passer. Nos parents étaient dans l'acceptation, nous les grandes-soeurs et les grands-frères avions peut-être des rêves plus limités. Eux, aujourd'hui, ils veulent être admis dans les grandes écoles", juge la jeune femme originaire de Montfermeil, qui a vécu les émeutes de 2005 "devant sa fenêtre".
"Ces jeunes ont des choses à dire", insiste Mme Coulibaly. Pour preuve, l'animatrice confie que son groupe a interpellé lundi le ministre de Ville Olivier Klein et ancien maire de Clichy-sous-Bois, à la mairie, lors du rassemblement de soutien au maire de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) visé par une voiture-bélier à son domicile.
Pris sur le moment par son agenda ministériel, M. Klein leur a donné rendez-vous mercredi en fin d'après-midi à la Maison de la Jeunesse pour un échange informel, auquel l'AFP a pu participer.
Biré Doucouré, 18 ans, a appelé "à plus d'actions pour la jeunesse pour éviter qu'elle s’ennuie, ne soit devant les écrans", "à améliorer la convivialité dans les quartiers, sa végétalisation", "faire venir des professeurs investis dans les banlieues", ajoute la jeune de Noisy-le-Sec.
Sans se laisser impressionner, elle a interpellé le ministre: "Que faut-il pour se faire entendre, sans utiliser la violence?", "Comment se faire entendre autrement que par la violence?".
M. Klein, lui, a opposé "l'engagement". Il a appelé les jeunes à voter, à s'investir en prenant l'exemple de "l'Assemblée des jeunes Clichois".
Attentif, Waïl, 15 ans, fait preuve d'un brin d'optimisme. "Avec le temps, la confiance avec la police peut se retrouver, à condition d'être écoutés et utiliser nos propositions", met-il tout de même en garde.