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Si tout le monde comprend l’intérêt de l’entretien des réseaux de transports (que ce soient les autoroutes ou les chemins de fer), personne n’aime subir les conséquences des chantiers pharaoniques qui y sont généralement liés.
Le renouvellement d’une autoroute génère souvent de longues files pendant de longues semaines ; un peu de patience ou des changements d’itinéraire peuvent suffire. Mais lorsqu’il s’agit du "renouvellement intégral des rails, des supports et du lit de pierres sous les voies", les conséquences prennent souvent de l'ampleur pour les riverains situés à côté du chantier. C'est le cas actuellement à Quévy, au sud de Mons, à la frontière entre la Belgique et la France.
Olivier et Silvia ont contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous. "Nuisances sonores, de jour comme de nuit. Grosses vibrations qui causent des fissures et abîment les maisons et les voiries": les passages incessants des camions et des tracteurs, chargés bien comme il faut, les épuisent. Ils évoquent "des insomnies, aboutissant à des arrêts de travail, sans oublier la nervosité des riverains".
"Un enfer, jour et nuit"
Sur place, nous avons rencontré Béatrice, dont la maison est juste à côté d'une des entrées du chantier. La principale conséquence, c'est la poussière. "Un enfer. C'est jour et nuit depuis plus d'un mois, on est dans la galère, et moi je suis la plus proche (de l'entrée). Je suis désespérée. Je ne sais même plus faire sécher de linge dehors. La poussière fait le tour de la maison, donc tout est fermé de haut en bas depuis un mois et demi. Malgré tout, même à l'intérieur, je passe ma main quelque part, et j'ai de la poussière. Je nettoie tous les jours, je n'ai pas le choix. Je n'ai plus l'âge de tout récurer tout le temps. C'est triste, mais que voulez-vous ?".
Béatrice fuit la poussière d'un tracteur (©RTLINFO)
Durant notre rencontre, une vingtaine de tracteurs, camions ou camionnettes, belges ou hollandais, sont passés dans le fond de cette petite rue, un cul-de-sac situé dans le paisible village hennuyer. Une autre conséquence pour les riverains situés sur l'itinéraire des engins de chantier, c'est le sommeil. "On ne sait pas dormir, des camions et des tracteurs qui passent sans arrêt, ça vous détruit. Je suis obligée de prendre des médicaments pour dormir parce qu'on n'y arrive pas. Je suis extrêmement fatiguée, et énervée, parce que maintenant, il y en a marre. Je suis pensionnée, mais j'ai quand même besoin de repos".
D'un point de vue matériel, Béatrice constate "des trottoirs pétés, des fentes sur mes pierres et ma façade, car ils doivent parfois monter". Elle espère "qu'on va au moins nettoyer ma façade, et refaire mon trottoir, mais j'en doute beaucoup. Contre le chemin de fer, c'est pas la peine d'essayer, vous avez perdu".
La bourgmestre a obtenu des modifications
Un chantier d'une telle ampleur provoque forcément la colère de nombreux riverains, et pas uniquement de ceux qui, comme Béatrice, habitent à côté. Ils n'ont pas la poussière, mais bien les nuisances sonores, les vibrations, les voiries abîmées, etc.
Tous ces problèmes sont remontés assez rapidement aux oreilles de la bourgmestre de Quévy, Florence Lecompte. "On a été mis au courant par Infrabel qu'ils allaient faire des travaux d'amélioration de la ligne entre Quévy et la France. Ce sont leurs terrains. Et on doit s'adapter, faire des déviations, changer le tonnage maximal de certaines rues, etc", nous a-t-elle confié.
Florence Lecompte, bourgmestre de Quévy (©RTLINFO)
"Au niveau de la tranquillité de notre petit village, avoir une telle quantité d'engins de chantier, c'est quelque chose qui impacte la santé des citoyens. Il y a des sous-traitants qui roulent vite, qui ne sont pas conscientisés. On en est conscient au niveau du collège communal. On a déjà verbalisé plusieurs chauffeurs, et on a un énorme dossier au niveau de la commune, parce que ça a vraiment abîmé beaucoup de voiries. Mais même sur les rues où le tonnage maximal ne permet pas le passage, ils sont obligés de passer…"
Certains ont du aller à l'hôtel pour dormir
Une demi-victoire pour le village
Les choses ont bougé, cependant. "On a convoqué Infrabel. On a eu une réunion la semaine dernière en présence de la police. On est parvenu à faire stopper les travaux durant la nuit, pour que les riverains puissent au moins dormir, car certains ont dû aller à l'hôtel pour dormir. Mais l'inconvénient, c'est que les trajets sont plus intensifs durant la journée et surtout, au lieu de se terminer le 20 septembre, les travaux se termineront le 15 octobre".
Un équilibre essentiel: Quévy veut garder sa gare
La commune est cependant bien consciente de l'importance de ces travaux. Elle doit trouver l'équilibre entre le bien être à court terme des riverains, et le maintien de la gare sur le long terme. "Stopper les travaux, ça voudrait dire perdre notre chère ligne de train. Et je n'ai pas envie qu'Infrabel nous dise 'On ne fait plus rien à Quévy, et vous perdez votre ligne'. On est en pleine campagne, donc pour Infrabel, ça n'est plus rentable, mais pour nous, c'est intéressant de la garder".
La bourgmestre appelle donc à la patience. "Et si vous avez des remarques et des dégâts à formuler, il faut envoyer les photos 'avant/après' à l'adresse email contact@infrabel.be, et éventuellement au niveau de la commune si ce sont des dégâts de voirie. Infrabel nous a dit qu'ils avaient des assurances, donc j'espère qu'après, ils respecteront leur parole en remboursant les dégâts. J'espère qu'il ne faudra pas aller en justice".
Que dit Infrabel ?
Comme expliqué ci-dessus, Infrabel ne fait jamais des travaux par plaisir. Le gestionnaire du réseau de la SNCB a la lourde tâche d'entretenir les 8424 kilomètres de voies (chiffres de 2020, un travail rendu encore plus compliqué cet été avec les dégâts parfois colossaux des inondations. Comme indiqué sur le site d'Infrabel, d'un chantier entre Quévy et la frontière française.
"On a un double chantier à Quévy. D'une part entre la gare de Quévy et la frontière française, on renouvelle complètement les voies, ainsi que les talus (on pose des murs de soutènement sur plus d'un kilomètre). Le deuxième chantier débutera le lundi 27 septembre entre Quévy et Cuesmes, là on remplace les traverses", nous a expliqué Jessica Nibelle, porte-parole d'Infrabel. "Ce sont des chantiers qui étaient absolument nécessaires car les infrastructures avaient atteint un niveau de vétusté gigantesque. Il fallait faire ces travaux pour la sécurité du trafic voyageurs et marchandises", poursuit-elle.
Ce type de chantier "est organisé plusieurs années à l'avance, c'est un planning très serré car on a en permanence une centaine de chantiers en Belgique".
"Pour limiter l'impact sur la circulation des trains"
Celui qui nous occupe aujourd'hui "était prévu 24h sur 24 pour aller plus vite. Travailler la nuit, c'est très courant chez Infrabel pour limiter la durée des chantiers dans le temps et l'impact sur la circulation des trains".
Cependant, le gestionnaire de réseau confirme que "en concertation avec les autorités communales, on a trouvé une solution qui semblait équilibrée. On a limité le chantier entre 6h et 22h, mais ça a effectivement des conséquences sur la durée du chantier, qui durera trois semaines supplémentaires".
Et la gestion des dégâts ? "Si les riverains constatent des dégâts sur leurs habitations, et s'ils estiment que c'est à cause des travaux d'Infrabel, on enjoint les riverains à contacter leur compagnie d'assurance, qui elle, contactera Infrabel".
Et en cas de conflit ?
Nous nous sommes tournés vers un avocat spécialisé dans le droit des assurances pour évoquer 'le pire des scénarios': des riverains se retrouvent avec des dégâts, mais Infrabel ne veut pas intervenir. "C'est parfois, et même souvent, un parcours du combattant. Il faut d'abord déterminer quelle est la partie responsable de vos dommages. S'il y a une faute, ou pas. Si c'est un chantier, on n'a pas besoin de faute, on a besoin d'un imputabilité, donc démontrer le lien causal entre ce chantier et les dommages causés, et ensuite établir son dommage", nous a confié Bernard Burhin.
Le plus compliqué sera "l'établissement du dommage, parce qu'il faut le prouver l'état 'avant' et 'après', et comment le réparer". D'autant plus que "ce type de procédure est souvent coûteuse, car elle requiert des experts. Donc si vous n'avez pas d'assurance protection juridique", vous devrez avancer l'argent.
La première chose à faire, "c'est d'établir une déclaration de sinistre auprès de son assurance, qui va envoyer un expert, qui va déterminer s'il y a un dommage, et s'il est réparable". Après, "si vous avez une assurance de protection juridique, il faut monter un dossier avec le rapport d'expertise et l'adresser à celui qu'on imagine être responsable. Ici, Infrabel va déléguer un expert. Si tout se passe bien, ce sera plus une discussion entre experts pour chiffrer le dommage. C'est le cas d'école le plus sympathique pour la personne". Le problème c'est quand "le responsable dit 'C'est pas moi'. Alors il faut saisir la justice, puis un juge saisira un expert ou tranchera le litige qui pourrait y avoir" entre les parties.
Hélas pour Béatrice, dans son cas, la contestation de la responsabilité "arrive très souvent, car les compagnies d'assurance ne couvrent pas les 'troubles de voisinage'. De plus, Infrabel, ce ne sont pas les personnes qui travaillent sur place. La faute peut incomber au charroi, à ceux qui ont enfoncé des pieux dans la chaussée. Donc souvent, vous citez en justice le seul interlocuteur que vous avez, c'est-à-dire Infrabel. Mais eux vont citer en garantie les différents entrepreneurs qui sont intervenus sur les lieux. Et c'est cette cascade de responsabilités qui va retarder très fort le procès".
Dès lors "l'épuisement parfois physique, ou la lassitude, fait que le propriétaire va laisser tomber" si les dommages représentent quelques milliers d'euros.