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La vie tragique de la poétesse russe Anna Akhmatova (1889-1966), bâillonnée par le stalinisme, a inspiré Bruno Mantovani pour un ouvrage créé à l'Opéra Bastille, marqué par une musique expressionniste et violente.
Bruno Mantovani, jeune directeur (36 ans) du Conservatoire de Paris (CNSDMP) et compositeur prolixe, avait déjà signé un opéra, "L'Autre Côté", qui abordait aussi la question de l'artiste face à l'imposture d'une utopie politique.
"Akhmatova", composé sur un livret de Christophe Ghristi, est présenté jusqu'au 13 avril dans une mise en scène du directeur de l'Opéra de Paris, Nicolas Joel.
Fil conducteur de l'oeuvre: un tableau de Modigliani, sorte d'épure, représentant Anna Akhmatova, omniprésent dans le décor, presque tout du long noir et blanc.
Entre les scènes, un panneau noir occupant tout l'espace, glisse lentement d'un côté du plateau à l'autre et sert parfois de toile de fond à l'intrigue, comme lorsque des réfugiés partent en longues files avec leur valise ou que les femmes font la queue devant les murs des prisons de Leningrad.
Sous la direction de Pascal Rophé, la musique, d'où jaillissent des arabesques, évoque le chaos, l'angoisse, la sombre pulsation d'un coeur qui bat. "Ce n'est pas un orchestre traditionnel, au sens où il n'y a pas beaucoup d'instruments résonnants, mais des instruments qui tirent vers le grave, beaucoup de trombones, cors, deux clarinettes basses", indique Bruno Mantovani. "C'est un orchestre qui a une couleur d'orgue, avec un rôle prépondérant de l'accordéon qui donne ici la couleur locale".
L'oeuvre est chantée en français et non en russe, le rôle d'Akhmatova ayant été spécialement conçu pour la mezzo Janina Baechle, qui fait ses débuts à l'Opéra de Paris.
"A cet orchestre grave, il fallait une voix qui s'accorde, qui puisse plonger aux tréfonds de l'âme humaine", selon Bruno Mantovani. Face à elle, le fils d'Akhmatova, qui fut déporté deux fois au goulag, est incarné par le ténor Atilla Kiss-B.
Née dans un milieu aisé, bohême, très célèbre en Russie, Anna Akhmatova voit sa vie basculer avec la Révolution de 1917. Sa poésie, considérée comme bourgeoise, est mise à l'index. Refusant de partir pour ne pas trahir sa culture et sa langue, la poétesse traverse les sombres années du stalinisme. Elle écrit alors des poèmes de guerre et de deuil, comme "Le Requiem", connus de ses seuls amis, avant d'être réhabilitée après la mort du "petit père des peuples".
L'intrigue, statique, reste difficile à suivre et les voix émergent difficilement de l'orchestre, qui garde la part belle, de même que l'élégante mise en scène.
Après une scène violente où le fils d'Anna AKhmatova lui reproche de n'avoir rien fait pour lui, l'orchestre seul continue de jouer dans un déferlement musical, offrant une ouverture placée à la fin du spectacle et non à son début.
"Il s'agit justement d'une ouverture à la poésie", selon Bruno Mantovani, et à une musique plus contemplative, "une sorte d'extase".
