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Depuis son attribution au Qatar fin 2011, le Mondial-2022 a été l'un des plus polémiques de l'Histoire mais l'émirat en sort plutôt gagnant en matière d'image et d'influence, particulièrement dans les pays du Sud et le monde arabe, selon plusieurs observateurs.
Des accusations de corruption pour obtenir le tournoi aux critiques sur les droits des travailleurs migrants et des personnes LBGT+, "il y avait beaucoup d'inquiétudes en termes d'organisation et de sécurité, ainsi que de politisation à l'extrême de cette Coupe du monde", rappelle Carole Gomez, doctorante en sociologie du sport à l'université de Lausanne, en Suisse.
"Force est de constater que cette politisation n'a pas été aussi importante qu'elle aurait pu l'être et que, s'il y a eu des couacs, ils ont été peu médiatisés", remarque Mme Gomez.
"L'événement a offert au Qatar l'opportunité de laver son image de pays à scandales, quitte à faire oublier les affaires qui avaient précédé le tournoi", abonde Raphaël Le Magoariec, spécialiste de la géopolitique du sport dans le Golfe à l'université de Tours, en France.
Pour Andreas Krieg, professeur au King's College de Londres, les "affrontements culturels sur les réseaux sociaux à propos des valeurs et des symboles" ne devraient pas affecter les relations internationales.
"Le Qatar a utilisé la Coupe du monde pour cimenter ses relations diplomatiques", note-t-il, et "même dans les pays où la couverture médiatique a été majoritairement négative, comme le Royaume-Uni, les élites politiques sont restées positives à l'égard de l'hôte du Mondial".
- "Bénéfice net de +soft power+" -
D'après Simon Chadwick, professeur d'économie et géopolitique du sport à SKEMA Business School, en France, l'émirat s'en sort avec "un bénéfice net de +soft power+", particulièrement au Sud et dans le monde arabe, où la compétition a "donné un coup de fouet" à son influence pré-existante.
C'est d'ailleurs ce qu'ont mis en valeur les autorités qataries. "Nous avons tenu notre promesse d'organiser un championnat exceptionnel pour les pays arabes, qui a permis aux peuples du monde de découvrir la richesse de notre culture et l'originalité de nos valeurs", a écrit l'émir, Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, sur Twitter dimanche.
Entre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane invité d'honneur de la cérémonie d'ouverture et le port par l'émir d'une écharpe verte, couleur de la sélection saoudienne, on retiendra la mise en scène de la réconciliation avec l'Arabie saoudite, après leur brouille diplomatique entre juin 2017 et janvier 2021.
La cause palestinienne s'est aussi invitée dans les stades, de nombreux supporters et les joueurs du Maroc -- surprenants et fédérateurs demi-finalistes -- arborant le drapeau palestinien.
"Cela a rallié le monde arabe et islamique autour du Qatar, champion des questions régionales telles que la Palestine ou l'anticolonialisme", selon M. Krieg.
Mme Gomez note aussi "différentes rencontres où la Turquie était impliquée". "Le message était tourné à l'échelle globale et non plus à l'échelle uniquement occidentale, et européenne principalement", analyse-t-elle.
- "Toujours des réserves" -
"Même dans le Nord, par exemple dans certaines parties de l'Europe, les perceptions et les attitudes de certaines personnes à l'égard du Qatar ont évolué positivement", ajoute M. Chadwick.
"Beaucoup de visiteurs, notamment dans les médias (...), ont toujours des réserves", constate-t-il toutefois, et "il y a encore une résistance considérable dans des pays comme le Danemark, l'Allemagne et les Pays-Bas, que les autorités qataries ont choisi de ne pas affronter".
Il lui semble "peu probable que quatre semaines soient suffisantes pour remettre en question les idées reçues et les stéréotypes". "Le véritable travail de construction du +soft power+ commence pour le gouvernement qatari", conclut donc M. Chadwick.
Avec un premier écueil: les présomptions de corruption au Parlement européen, révélées en plein Mondial.
Carole Gomez s'interroge sur les effets qu'aura ce scandale mais aussi sur comment le Qatar va "imaginer sa diplomatie sportive à l'avenir", dans un contexte de concurrence avec l'Arabie saoudite, les deux pays lorgnant sur les JO en 2036.
"Il y a quelques mois, je me disais qu'on allait peut-être assister, au regard des accusations de +sportwashing+, à un ralentissement de la part de certains pays prêts à investir à tout prix sur le sport, dit-elle. Mais quand on regarde ce qui s'est passé au Qatar, ça n'est peut-être pas sûr."
La question climatique, par contre, pourrait devenir déterminante, estime-t-elle, alors que l'Arabie saoudite a été désignée début octobre pour accueillir... les Jeux asiatiques d'hiver de 2029.