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Dans sa Normandie natale, Aïssa Mallouk, gamin franco-marocain à l'enfance blessée, n'imaginait pas un jour déployer son talent de slameur dans un théâtre antique romain du sud de la France. Mais la musique produit parfois un "alignement d'étoiles".
Première partie d'Izïa et de l'artiste électro-pop Flavien Berger, l'homme au grand corps longiligne de danseur s'avance devant les colonnes du théâtre antique d'Arles (Bouches-du-Rhône). Sur les notes de piano du musicien Sinclair, un de ses trois partenaires sur scène avec le bassiste Kevin Lecuyer et le batteur Julien Kamoun, Aïssa Mallouk a posé ce week-end son "invitation au voyage" au festival Les escales du Cargo.
La voix est profonde, se fait douce ou se gonfle parfois des blessures "de la mémoire des nuits noires", des errances comme "un bouchon de chair au milieu de la mer".
Les mots slamés font mouche: une spectatrice pleure en écoutant "Boomerang", sur ce passé qui nous revient même quand on "tente de faire peau neuve". La musique électro, orchestrée par Sinclair, sublime les mots et "montre qu'on peut danser même sur nos plaies".
Quand le public applaudit longuement, il flotte comme un état de grâce, écho des mots du slameur: "Histoire qu'on se défroisse, qu'on se déplie, qu'on se déploie". Ce concert, c'est un rêve d'enfant devenu réalité, une histoire de rencontres improbables, d'un oeil ouvert sur la beauté au-delà des fêlures.
Né il y a 45 ans, Aïssa Mallouk grandit à Hérouville-Saint-Clair (Calvados). Il rêve de faire de la danse, mais "ce n'est pas pour les garçons", tranche son père. Très jeune, il écrit. Père schizophrène, mère malade, "l'enfance est houleuse. A 15 ans j'ai dû partir de chez moi, c'était effrayant", lâche-t-il, la voix nouée, lors d'un entretien avec l'AFP.
Mais des "anges" gardiens apparaissent: Arlette, "la deuxième maman", Pascale Deroyer, professeure de théâtre au lycée, "qui a su redonner du sens à des jeunes promis à rien". Suit une école de théâtre à Agen sous la direction de Pierre Debauche, fondateur des Amandiers à Nanterre, qui lui apprend à "savoir faire rêver avec rien".
A Marseille, où il joue dans une pièce de Macha Makeieff, il se lance dans le slam. Mais la vie d'artiste ne paie pas assez et Aïssa Mallouk travaille aussi comme porteur de piano, serveur...
En 2017, besoin de changement, il s'installe à Arles. Serveur au café de La Roquette, quartier bohème du centre, il y rencontre Mathieu Blanc-Francard alias Sinclair, pilier de la scène funk française depuis les années 2000, lui aussi nouvel Arlésien.
- Renaissance -
Fils de l'ingénieur du son Dominique Blanc-Francard, frère de BoomBass, une des figures de la French touch électro, Sinclair raconte à l'AFP qu'il ne songeait plus vraiment à monter sur scène. Aïssa Mallouk avait lui remisé ses rêves musicaux même s'il organisait des soirées slam très fréquentées.
Un troisième homme, Jean-Marc Pailhole, déclenche l'aventure artistique en 2022. "J'ai entendu Aïssa slamer un soir, ses mots, sa lumière m'ont ému. Je lui ai offert une carte blanche" dans la salle du Cargo, raconte celui qui a accueilli dans ce lieu arlésien, en concert ou résidence, Patti Smith, les Rita Mitsouko, Juliette Armanet, Laurent Garnier... et fut un des premiers à programmer Thomas Fersen.
"Fébrile", Aïssa Mallouk demande à Sinclair des conseils pour ce concert à construire. Sur les mots d'Aïssa, ce dernier se projette dans la musique. "C'était fulgurant, j'ai dû écrire sept titres en dix jours! Je me dis il va falloir monter un groupe, on commence à répéter avec Kevin qui a écrit des morceaux aussi, Julien".
Et le 22 avril, ils font salle archi-comble. Arnaud Samuel, violoniste de Louise Attaque, monte sur scène avec eux. "Il y a une telle fluidité entre nous, ça tient presque d'Alice au pays des Merveilles", dit Sinclair qui a retrouvé un plaisir "fou" sur scène juste aux claviers, "une renaissance".
Après le théâtre antique, ils voudraient que cette aventure née d'un "véritable désir musical" voyage encore sur scène, songent à un album. A 45 ans, dit Aïssa Mallouk, "je suis émancipé de toute illusion sans que ça ait enlevé mes rêves".