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Après l'occupation russe, le ressentiment d'une villageoise de l'est de l'Ukraine

Nadejda Sereda a l'impression d'être punie pour être restée pendant l'occupation russe de son village de l'est de Ukraine, depuis repris par les forces de Kiev.

Cette ouvrière à la retraite et sa douzaine de voisins n'ont plus d'électricité ni d'eau courante dans leurs maisons aux façades fissurées par les tirs d'artillerie depuis que les soldats russes se sont frayé un chemin à travers les défenses ukrainiennes en mai de l'année dernière et se sont emparés de Stariy Karavan, dans la région de Donetsk.

La reconquête, trois mois plus tard, de cette petite localité et de plusieurs autres dans la région a créé davantage encore de problèmes à Nadejda Sereda.

"Nos dirigeants ont commencé à nous diviser entre ceux qui sont restés sous l'occupation, qu'ils ne considéraient pas comme des êtres humains, et ceux qui sont partis et qui, soi-disant, aiment vraiment l'Ukraine", lâche-t-elle, exaspérée.

- "Des anges" -

Cette femme de 66 ans est sortie dans la rue pour saluer les médecins bénévoles qui ont dû emprunter un ponton et une route défoncée avant d'atteindre sa maison située en bordure du village.

"Ce sont des anges", s'enthousiasme-t-elle à l'adresse de cette équipe financée par des fonds privés. "Ce sont les seuls à venir ici".

Les habitants de Stariy Karavan manquent toujours de gaz pour cuisiner et dépendent de la radio et d'un service de téléphonie mobile très limité pour avoir des informations.

Les rancœurs sont vives.

"Lorsque les Russes sont arrivés, ce n'est pas comme si nous avions commis une trahison ou que nous leur avions parlé de quoi que ce soit", souligne Valentyna Tchoumakova, la voisine de Sereda. "Nous sommes simplement restés tranquillement chez nous".

- Fractures sociales -

Les inquiétudes de Sereda sont le reflet des fractures sociales plus larges dans des régions déshéritées où le danger règne telles que Stariy Karavan et le village de Broussivka, un peu plus loin.

Ces localités perdues au milieu de zones boisées sont coupées du reste du territoire ukrainien sous contrôle gouvernemental par une rivière sinueuse au-dessus de laquelle les ponts ont été détruits par la guerre.

À l'autre extrémité de la forêt, les forces russes se sont regroupées et tentent d'effectuer une percée.

D'autres brigades russes progressent plus au nord, en direction de Koupiansk, dans la région de Kharkiv.

La résurgence de la menace russe est l'une des raisons pour lesquelles Mykhaïlo Dobrichman, un médecin bénévole, emmène sa clinique mobile vers ces terres isolées.

Son groupe de volontaires, Base UA, a organisé des évacuations de certains des points les plus chauds en Ukraine.

"Mais, aujourd'hui, nous rencontrons très peu de personnes qui veulent partir", déplore cet homme de 33 ans.

"Au contraire, de plus en plus de gens reviennent".

- "Les cas les plus critiques" -

L'isolement de Stariy Karavan et la menace croissante de la Russie expliquent sans doute pourquoi si peu des ressources limitées de l'Ukraine parviennent à Sereda et à ses voisins.

Le Dr Dobrichman s'efforce d'être compréhensif et ne s'oppose plus au refus des villageois plus âgés d'abandonner leur maison et leur potager.

Mais il n'est pas si patient avec les jeunes familles avec enfants. "Ce sont les cas les plus critiques", dit-il.

"Lorsque nous voyons des enfants, nous revenons plusieurs fois pour convaincre les familles de partir. Nous essayons d'obtenir l'aide de la police", poursuit-il.

"Ces enfants sont notre avenir".

- "Notre administration nous méprise" -

Nadejda Sereda fulmine à l'idée que quelqu'un puisse penser qu'elle espionne pour les Russes.

"Notre administration nous méprise", dit-elle. "Chacun a ses propres raisons de vouloir rester", ajoute-t-elle. "Je veux juste être traitée comme un être humain. Est-ce trop demander ?"

A Broussivka, Mykola Brous, qui vit dans des conditions similaires, vénère littéralement l'Ukraine et ses soldats.

Son village porte le nom de sa famille et ses racines sont tout aussi solides que celles de Nadejda.

"Les gars, les soldats ici, ils nous aident tout le temps", assure cet homme de 69 ans à propos des petits groupes de militaires déployés à l'abri des regards dans les champs.

"Les soldats s'occupent de moi à tour de rôle. Ils vérifient que je suis toujours en vie", affirme-t-il sans la moindre ironie.

Mais même lui peine à se souvenir de la dernière visite d'un membre de l'administration civile dans ces régions.

"Nous avons les soldats", s'exclame-t-il en haussant les épaules.

"Ils viennent à tout moment de la journée. Ils m'apportent de la nourriture, du bortsch (une soupe ukrainienne), ils m'aident dans tous les domaines".

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