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"C'est le détonateur de l'affaire." Au procès de l'attentat de la synagogue de la rue Copernic en 1980 à Paris, un spécialiste du renseignement a passé mardi au crible "le seul élément pertinent" du dossier, un passeport au nom de l'unique accusé, Hassan Diab.
Quand en 2007 Philippe Chicheil plonge pour la première fois dans le dossier, vingt-sept ans après l'attentat à la bombe qui a fait quatre morts le 3 octobre 1980, c'est "un véritable puzzle" qu'il doit reconstituer, souligne-t-il à la barre de la cour d'assises spéciale de Paris.
Il s'agit déjà pour l'ex-policier, 71 ans aujourd'hui, de "trier les lentilles", "le bon et le mauvais" dans les renseignements recueillis par la Direction de la surveillance du territoire (DST, devenue DGSI) dans cette longue enquête qui venait de traverser une nouvelle période de sommeil.
Dès avril 1999, la DST avait transmis à l'autorité judiciaire un rapport identifiant dix membres présumés du commando envoyé selon elle par le FPLP-OS, un groupe dissident du Front populaire de libération de la Palestine, dont "cinq" constituaient "le noyau dur".
- "Maillon faible" -
"Parmi eux, un est sorti du lot, le maillon faible judiciairement parlant, celui qui avait laissé le plus de traces, Hassan Diab", assure Philippe Chicheil, friand de formules désuètes.
Bien que Hassan Diab soit "trop petit pour porter le chapeau tout seul", le policier n'a que ce seul "individu" pour "travailler".
Il va examiner sous toutes ses coutures "un élément capital": le passeport libanais de Hassan Diab trouvé en octobre 1981 sur un voyageur contrôlé à Rome, et pas n'importe lequel, "le neveu" du chef présumé du FPLP-OS.
Patrick Chicheil scrute surtout "les dates" sur le document: un visa pour l'Espagne délivré le 17 septembre 1980, un tampon d'entrée dans ce pays le 20 septembre, un de sortie le 7 octobre, soit quatre jours après l'attentat rue Copernic.
Selon les renseignements, le commando était entré en Europe via l'Espagne, rejoignant ensuite Paris avec de faux papiers, dont la fausse identité chypriote d'Alexander Panadriyu pour le poseur présumé de la bombe.
Les mains bien appuyées à la barre, Philippe Chicheil ne fait aucun mystère de sa certitude que ce dernier et Hassan Diab ne font qu'un. Des témoins avaient souligné sa ressemblance avec les portraits-robots du suspect dessinés en 1980.
Mais ce qui semble encore plus emporter la conviction du témoin sont les explications "très fantaisistes", selon lui, de Hassan Diab sur ce passeport, dont il était allé faire le renouvellement en mai 1983 au Liban, disant alors l'avoir "perdu" en avril 1981, en circulant à moto.
- "Irrationnel" -
Quand bien des années plus tard Hassan Diab, désormais installé au Canada, est entendu comme suspect dans l'attentat de la rue Copernic, il dit l'avoir perdu le 12 septembre 1980, de retour de vacances en Grèce, une "déclaration aussi irrationnelle que la première" pour Philippe Chicheil.
"Cinq jours après cette pseudo perte", ironise l'ex-policier de la DST, une demande de visa pour l'Espagne est faite avec le passeport de Hassan Diab, sans en changer la photo d'identité. "Comment croire qu'un inconnu" ait pu l'utiliser "à son insu" ? "C'est totalement rocambolesque", tonne le témoin.
Le passeport, qui comporte également des visas yougoslave et turc délivrés en 1981, est "un élément à charge ne souffrant d'aucune ambiguïté", martèle Philippe Chicheil.
La défense de l'accusé, jugé par défaut depuis le 3 avril, s'émeut du discours "aussi catégorique" du policier, qui qualifie de "témoins bidons" cinq anciens camarades d'université qui ont corroboré les déclarations de Hassan Diab, à savoir qu'il passait ses examens à Beyrouth lors de l'attentat.
Me William Bourdon veut savoir ce que s'est dit Philippe Chicheil quand, après ces témoignages, deux juges d'instruction rendent en janvier 2018 un non-lieu à l'égard de Hassan Diab - il sera infirmé trois ans plus tard.
"Que c'est de la folie", qu'"ils étaient peut-être sous influence", lâche l'ex-policier.
"De qui ? C'est très grave ce que vous dites", s'écrie Me Bourdon.
"Sous leur propre influence, de la façon dont ils ont approché le dossier", se reprend le témoin.
Verdict le 21 avril.