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"Le ramadan? Ca fait des mois qu'on le fait!": au Soudan en guerre, où plane la menace de la famine, le mois de jeûne musulman revêt une saveur amère.
"On mange un repas par jour depuis des mois et on n'a même plus de quoi le préparer nous-mêmes, on nous le sert dans une soupe populaire organisée dans une mosquée", raconte à l'AFP par téléphone Othmane Idriss, un habitant d'un quartier du sud de Khartoum.
Avant le déclenchement de la guerre en avril 2023 entre l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdane Daglo, M. Idriss tenait un petit magasin d'alimentation.
Entre les tirs nourris, les frappes aériennes, les pillages et autres exécutions sommaires, il n'a plus revu ni son échoppe ni le quartier de l'est de Khartoum où elle se trouvait.
Après onze mois de combats, des milliers de morts, huit millions de déplacés, une bonne part des infrastructures du pays réduites à néant, Mohammed Soleimane, lui, s'obstine à ouvrir boutique dans sa ville d'al-Rahed, au Kordofan-Nord, où les FSR imposent désormais leur loi.
"Ils font payer des taxes à tous les camions, donc les prix augmentent et il y a de moins en moins de produits qui arrivent", affirme M. Soleimane à l'AFP.
- Ni salaire ni virement -
Quant aux clients, ils sont de plus en plus rares, entre ceux qui ont perdu leur emploi, ceux qui se sont fait voler leurs économies dans le pillage de leur maison et ceux qui souffraient déjà de la faim avant la guerre qui déchire ce pays parmi les plus pauvres au monde.
Et il y a quelques semaines, le dernier filet de sécurité a sauté: les télécommunications ont subitement disparu dans plusieurs Etats, et avec elles, l'application de la principale banque du Soudan qui permettait de recevoir des virements, d'acheter dans des magasins ou encore d'obtenir des espèces contre un virement.
Imed Mohammed, par exemple, survivait grâce à des virements de proches exilés sur cette application pour nourrir sa famille, malgré la chute libre de la livre soudanaise et une inflation galopante.
"Depuis onze mois, je n'ai perçu aucun salaire", raconte à l'AFP cet instituteur de Wad Madani, au sud de Khartoum, qui, comme tous les fonctionnaires des zones de combat, a été mis au chômage technique. Depuis, certains ont reçu de manière irrégulière des parts minuscules de salaires, d'autres n'ont rien perçu du tout.
"On entre en ramadan et on a déjà faim", dit-il, alors que l'ONU estime que 18 des 48 millions de Soudanais sont en insécurité alimentaire aiguë --dont cinq millions ont atteint le dernier palier avant la famine.
"Moins de 5%" des Soudanais "peuvent s'offrir un repas complet", affirme le Programme alimentaire mondial (PAM)n qui redoute désormais "la plus grande crise de la faim au monde".
- Enfants affamés -
Dans le camp de déplacés de Zamzam, au Darfour-Nord, un enfant meurt toutes les deux heures selon Médecins sans frontières (MSF).
D'après l'ONG Save the Children, près de 230.000 enfants et femmes enceintes ou venant d'accoucher "risquent de mourir de faim" au Soudan.
A l'autre bout du Darfour, dans le camp de déplacés de Kalma, Ishaq Mohammed se sent abandonné avec les sept membres de sa famille.
"Les organisations humanitaires sont parties avec la guerre, les petits boulots qu'on arrivait à trouver avant ont disparu donc cela fait des mois qu'on ne mange qu'un repas par jour et, souvent, on s'en prive pour le donner aux enfants", raconte-t-il à l'AFP.
Ce constat d'abandon, de nombreux spécialistes du Soudan le partagent, comme le chercheur Alex de Waal.
"Il y a 10 ou 15 ans, tout appel aux dons des Nations unies aurait reçu au moins deux tiers de la somme réclamée. Aujourd'hui, l'appel pour le Soudan n'a récolté que 3% du financement demandé", affirme-t-il.
Et pourtant, poursuit ce fin connaisseur du Soudan, "selon les données historiques, la famine a débuté: nous n'avons pas encore les données actuelles mais le fait qu'elles ne soient pas disponibles ne doit pas nous faire fermer les yeux".
"Cette année", résume Nahed Moustafa, "le ramadan n'a aucun goût".
Dans son Etat d'al-Jazira, où traditionnellement les familles de Khartoum venaient passer les week-ends de ramadan entre les bras du Nil Bleu et du Nil Blanc, l'ambiance n'est plus à la fête.
Les odeurs enivrantes des boissons rafraîchissantes concoctées spécialement pour le ramadan ne s'échappent plus d'aucune maison. Seule règne l'odeur de la poudre.