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Les églises peuplent la montagne. On les aperçoit dans le vert éclatant de la forêt au coeur de l'été, entre deux maisons où les symboles religieux trônent avec fierté, dans ce coin de Géorgie où Dieu est tout.
Dans cet Etat du sud, décisif pour la présidentielle de novembre, les électeurs croyants savent bien que Donald Trump n'est pas le modèle du parfait chrétien mais pardonnent au candidat républicain au nom de son action contre l'avortement.
Yance Thompson, regard bleu perçant, vit sur le flanc d'une de ces collines des Appalaches baignées de soleil. Sur la table du patio de sa grande maison, une Bible. "Enfant, j'allais toujours à l’église. J'ai grandi à l’église", sourit le grand gaillard de 40 ans.
Son père était pasteur à quelques kilomètres de là et, après avoir déménagé plusieurs fois, il est revenu dans le comté de son enfance, un des plus croyants et conservateurs de la Géorgie, celui de Rabun. Un endroit "où le sentiment d'appartenir à une communauté est très puissant".
"Les familles qui vivent ici vont dans les mêmes églises depuis des décennies", explique celui qui ne jure que par le Christ. Comme lui, près de la moitié de la population du comté est évangélique et plus de sept habitants sur dix sont croyants.
"C’est comme vivre dans une petite bulle", estime Meredith Thompson, 38 ans, mariée à Yance et mère de dix enfants, dont neuf adoptés. Ecole et université chrétiennes, parents pratiquants, Meredith, à la fois mère, triathlète et responsable d’un magasin de meubles, prie dès que son emploi du temps serré le lui permet.
- "Bible Belt" -
Le couple parle d’une même voix, en foi et en politique. "L'avortement est une erreur.
Sur ce point, Trump a fait du bon boulot", dit le père. "Un enfant est un enfant dès que la conception commence. Je ne supporte pas l'avortement, ça me brise le coeur", abonde la mère.
Une conviction intime qui a poussé l’énergique blonde de 38 ans à "toujours voter républicain".
D'une traite, elle énumère les autres raisons: "J'ai l’impression que les démocrates étouffent un peu la liberté d'expression, ils ont une nature très coléreuse", assure-t-elle. "Je veux que nos libertés restent intactes."
Yance Thompson votera aussi pour Donald Trump. Il ne mâche cependant pas ses mots sur le républicain, un "mauvais chrétien" mais "peut-être pas un mauvais homme politique".
Reconnu coupable en mai 2023 d'une agression sexuelle, puis condamné au pénal un an plus tard pour avoir dissimulé un paiement à une star de films X, ancien propriétaire de casinos, marié trois fois, le milliardaire non-pratiquant semble en effet un modèle improbable pour les évangéliques.
Cela n'empêche pas le septuagénaire, victime d'une tentative d'assassinat fin juillet, de jouer la carte religieuse. "J'avais Dieu à mes côtés", a-t-il lancé pour expliquer comment il réchappa de justesse à la balle du tireur.
Mais, ce que loue Yance Thompson, c’est la fin du droit fédéral à l'avortement, voici deux ans, dont l'ancien président est le grand artisan.
Un avis partagé à travers le comté, situé en plein coeur de la "Bible Belt", haut lieu du christianisme et du rigorisme qui s'étale du sud-est de l'Amérique au Texas.
En bord de route ou à l'arrière des pick-ups flottent des drapeaux confédérés, étendards des Etats du Sud devenus un symbole de l'extrême droite, dans un comté où 90% de la population est blanche.
Il n'est pas rare de trouver, à leurs côtés, des pancartes "Trump 2024".
Le territoire lui est acquis, les chrétiens évangéliques ayant été en 2016 la clé de voûte de sa victoire. Dans le comté, huit citoyens sur 10 ont voté Donald Trump à la dernière présidentielle.
- "Sur des charbons ardents" -
A Clayton comme ailleurs, dimanche est jour du Seigneur. Les grosses voitures se pressent dans la petite capitale du comté, nichée dans la forêt.
L'église baptiste du centre-ville est bondée. Plus de 400 personnes se retrouvent dans un gymnase aménagé en lieu de culte. Les fidèles prient en musique, les paroles sont retransmises sur écran géant, façon karaoké.
Au premier rang, la famille Thompson est au complet. Yance, le père, donne un sermon sur scène. Les fidèles captivés annotent leur Bible.
Tous ont encore en tête l'imbroglio de 2020, ici en Géorgie. Joe Biden l'a emporté dans un mouchoir de poche, avec moins de 12.000 voix, dans un Etat fracturé entre ses grandes villes démocrates, dont Atlanta, à forte proportion afro-américaine, et ses contrées rurales, conservatrices et peuplées en grande partie de Blancs.
Dans cet Etat, Donald Trump est poursuivi pour tentative d'inverser illégalement le résultat de l'élection présidentielle.
William Griffin, 34 ans, pasteur de l’église baptiste de Clayton, doute au nom de ses paroissiens de la victoire de Joe Biden alors que des années d'enquête n'ont pas apporté la moindre preuve de fraude.
"Les gens ici ont l'impression d'avoir été trahis lors des dernières élections. Tout le monde est sur des charbons ardents", dit l'homme de foi au visage jovial.
"Avons-nous un système électoral fidèle à la Constitution ? Y-a-t-il des personnes qui bourrent les urnes ?", se demande-t-il. Les habitants vont "prier pour que le déroulement de l’élection soit, cette fois-ci, fiable".