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Indonésie: la colère des communautés locales aggrave le sort des réfugiés Rohingyas

Dans un chantier naval de la province indonésienne d'Aceh repose un bateau en bois qui a débarqué cette semaine des réfugiés rohingyas arrivés au péril de leur vie. Une autre embarcation, n'a pas eu autant de chance, et a été refoulée par des villageois.

Avec à son bord quelque 256 réfugiés, le navire décrépit a tenté sans succès une première approche jeudi. Un peu plus loin, des habitants se sont de nouveau opposés au débarquement et l'embarcation a été repoussée au large, avant finalement de gagner la côte dimanche dans le district de Bireuen où 110 femmes et 60 enfants ont enfin pu fouler la terre ferme.

Mais les villageois, désemparés et en colère à l'idée de les prendre en charge, assurent qu'ils pourraient les rejeter de nouveau et les forcer à reprendre la mer.

En une semaine, plus de 800 réfugiés ont atteint les côtes d'Aceh, au nord de l'île de Sumatra, à bord d'au moins cinq navires. C'est l'une des plus importantes vagues d'arrivées depuis 2017.

Chaque année, des milliers de Rohingyas risquent leur vie dans de longs et coûteux voyages en mer, souvent à bord de bateaux délabrés, pour tenter d'atteindre la Malaisie ou l'Indonésie.

Pour beaucoup, ils viennent du Bangladesh qui abrite environ un million de membres de cette minorité musulmane apatride, dont quelque 750.000 ont fui la Birmanie voisine, en majorité bouddhiste, en 2017.

Face à ces manifestations d'hostilité, "je me sens triste, parce que ce sont des êtres humains. Mais que pouvons-nous faire ? Les gens sont faibles", témoigne Aswadi, un pêcheur d'Aceh de 53 ans, qui, comme beaucoup d'Indonésiens, porte un seul nom.

Les agences humanitaires ont lancé un appel à Jakarta, mais l'Indonésie n'est pas signataire de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés et affirme qu'elle n'est pas obligée d'accueillir ces réfugiés, stigmatisant les pays voisins qui leur ont fermé leurs portes.

Longtemps, les habitants d'Aceh ont fait preuve de compassion et accueilli ces réfugiés musulmans, dont ils partagent la religion.

Mais les populations locales ont de plus en plus de mal à accepter l'arrivée massive de ces réfugiés qui consomment des ressources déjà rares, peuvent causer des problèmes et souvent, s'enfuient des camps de réfugiés pour passer clandestinement vers la Malaisie où résident 100.000 Rohingyas.

Aceh n'est la plupart du temps pas la destination finale pour beaucoup d'entre eux, victimes d'un trafic de migrants générant plusieurs millions de dollars, tout au long des 4000 km de la route maritime qui sépare le Bangladesh de la Malaisie.

"Beaucoup souhaitent retrouver leurs familles qui sont déjà en Malaisie", indique la porte-parole du HCR en Indonésie, Mitra Salima Suryono.

- Désespoir -

Dans certains cas, les Rohingyas eux-mêmes sont accusés d’être impliqués dans ce réseau.

"Ce n'est pas que nous manquions d'humanité, mais ces gens s'enfuient parfois. Nous craignons que de mauvaises choses ne se produisent", déclare Rahmat Kartolo, chef du village d'Ulee Madon, dans le nord d'Aceh.

"Laissez-les naviguer vers un endroit sûr. Cet endroit n'est pas bon. Il n'y a pas de nourriture", ajoute Nurlelawati, 61 ans, habitant du village de Pulo Pineung. "Nous voulons les aider, mais nous ne pouvons pas".

Mais renvoyer au large ces embarcations souvent en mauvais état peut s'avérer fatal.

Ainsi, l'an passé, selon l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), près de 200 réfugiés rohingyas sont morts ou portés dsparus en tentant la périlleuse traversée.

- "Des êtres humains" -

Pourtant les Rohingyas arrivés précédemment et actuellement accueillis dans des camps se veulent reconnaisants envers les habitants de la région.

"Nous sommes heureux ici. Les habitants, quand nous sommes arrivés, nous ont aidés en nous donnant de la nourriture et des vêtements", témoigne Hasimullah, paysan de son état, qui a dû fuir la Birmanie vers le Bangladesh.

"Nous avons toujours souffert de la violence. C'est pour cela que nous nous sommes enfuis", ajoute ce père de famille de 39 ans qui souligne que les locaux l'ont bien traité depuis son arrivée en décembre.

Mais le rejet des derniers jours par la population locale l'inquiète. "Je suis triste. Nous sommes des êtres humains. J'espère (...) que le gouvernement, les habitants d'Aceh pourront les aider."

Pour faire face à cet afflux, le HCR ne dispose que de six camps de réfugiés temporaires dans toute la région d'Aceh.

"Nous espérons vraiment qu'au nom de l'humanité, les gens (...) pourront bénéficier d'une protection", a déclaré Faisal Rahman, responsable du HCR.

Pour d'autres, l'Indonésie ne fait pas assez.

"Le gouvernement semble fermer les yeux sur le sort des réfugiés rohingyas bloqués à Aceh", estime Azharul Husna, coordinateur du groupe de défense des droits Kontras Aceh.

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