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Deux manifestants ont été tués mercredi par balle et une vingtaine blessés en Irak dans des heurts avec les forces de sécurité, lors d'un rassemblement dans une ville pauvre du sud organisé après la condamnation d'un militant à trois ans de prison.
Le chef de la police dans la province a été limogé et le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani a ordonné l'envoi d'une commission sécuritaire à Nassiriya "pour enquêter sur la mort de manifestants", selon un communiqué.
Les heurts interviennent après un verdict rendu par un tribunal de Bagdad qui a condamné lundi Haidar al-Zaidi pour avoir insulté les puissants paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi, désormais intégrés aux forces régulières irakiennes. Le militant de 20 ans, en détention, peut faire appel.
Le verdict a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux et mercredi quelques centaines de personnes ont manifesté dans le centre de Nassiriya, ville du sud marginalisé.
"Deux manifestants ont été tués par balles" et 21 blessés --dont cinq par des tirs-- lors de heurts avec les forces de sécurité, a indiqué à l'AFP Hussein Riyad, porte-parole du département de la santé de la province de Dhi Qar, où se trouve Nassiriya.
Selon lui, un policier figure parmi les blessés.
Bastion de la contestation antipouvoir qui a secoué l'Irak à l'automne 2019, la ville reste le théâtre de manifestations sporadiques.
Mardi déjà, des manifestants se sont mobilisés pour fustiger la condamnation de M. Zaidi et pour aussi réclamer des compensations promises mais jamais versées aux personnes blessées lors de la répression du soulèvement de 2019.
- "A balle réelle" -
A la morgue de Nassiriya, Mohamed un des manifestants est venu attendre parmi les dizaines de proches et d'amis des deux victimes, dénonçant l'intervention "brutale" de la police anti-émeute qui a "tiré à balle réelle" sur les contestataires de l'emblématique place Haboubi.
"Des blessés (de 2019) ont manifesté de manière pacifique mardi. On a aussi eu un rassemblement pour réclamer la libération de Haidar al-Zaidi", confie-t-il à un vidéaste de l'AFP.
De leur côté, les autorités locales ont fustigé des "infiltrés" parmi les manifestants qui ont lancé des cocktails Molotov contre l'armée.
"Ce qui s'est passé aujourd'hui était prémédité", ont-elles accusé dans un communiqué.
Condamné à trois ans de prison, M. Zaidi avait écrit dimanche sur Facebook qu'il comparaissait pour "insulte aux institutions de l'Etat".
Il était jugé pour un tweet, effacé de son compte, dans lequel il attaquait Abou Mehdi al-Mouhandis, ancien numéro deux du Hachd al-Chaabi, tué en janvier 2020 avec le général iranien Qassem Souleimani par un drone armé américain, sur la route de l'aéroport de Bagdad.
Des captures d'écran de ce tweet ont été partagées par des comptes proches du Hachd.
Niant être à l'origine du tweet incriminé, le jeune homme et son père assurent que son compte Twitter a été piraté, a indiqué Human Rights Watch (HRW) mardi soir dans un communiqué.
- "Outil de répression" -
"Peu importe qui a posté le message, le système judiciaire irakien ne devrait pas être utilisé comme un outil de répression contre les critiques pacifiques des autorités ou d'acteurs armés", a déploré HRW.
Sur les réseaux sociaux, des internautes ont comparé cette condamnation à la récente libération sous caution accordée à un homme d'affaires impliqué dans le détournement de 2,5 milliards de dollars volés au fisc.
En juin, la mission de l'ONU en Irak avait déploré un "environnement de peur et d'intimidation", recensant plusieurs incidents "visant à réprimer toute dissidence" et "perpétrés par des +éléments armés non-identifiés+".
Le Parlement étudie actuellement un projet de loi portant sur "la liberté d'expression, d'assemblée et de manifestation pacifique", soumis par la commission des droits de l'Homme pour garantir de telles libertés "sans porter atteinte à l'ordre public et à la morale", selon un communiqué.
Le vaste et inédit mouvement de contestation en 2019 dénonçait la corruption endémique, les difficultés économiques et la déliquescence des services publics. La répression à balles réelles a fait plus de 600 morts.
Le soulèvement s'est essoufflé sous le coup de la répression et du confinement imposé par le coronavirus.
A Nassiriya, de petits rassemblements sont toujours organisés par des militants antipouvoir ou des jeunes fraîchement diplômés, qui réclament un emploi dans le public ou dans le secteur des hydrocarbures, le sud de l'Irak regorgeant de pétrole.