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De sa fenêtre grillagée de la prison de Nanterre, Mahamadou s'en persuade: "c'est la dernière fois que j'vois ce décor (...) les rats morts, les pigeons morts, la saleté". Après six ans de détention, il a enfin décroché une formation professionnelle.
A 24 ans, le jeune homme, qui a grandi en banlieue parisienne, ne connaît pas le monde du travail. Adolescent, il est tombé dans l'engrenage des rixes et la justice pour mineurs.
Ce mardi, il entre au parloir, inquiet. Serre d'une poigne franche la main de Najet Berramdane, la responsable d'activités de l'association "Faire" qui l'accompagne sur son projet de réinsertion.
"Je t'ai imprimé un e-mail, lis-le", lui demande-t-elle. Au fur et à mesure, la voix du détenu s'éclaircit. Puis il s'écrie, claquant dans ses mains: "Waouh ! Vous m'apportez du concret, y'a même un rendez-vous !"
Mahamadou est convoqué pour une évaluation en vue d'intégrer une formation de "chef d'équipe propreté". Un métier loin des "terrains" des quartiers. Il rayonne.
"Je veux sortir avec un projet encadré", explique-t-il. "Si vous sortez sans rémunération, vous devez frauder pour payer les transports, le logement" et le risque de récidive s'accroît.
"Tu as fait beaucoup d'efforts. Tu es plus à l'écoute, tu as développé tes qualités de leader. On te voit parfaitement sur un poste à responsabilité?", le félicite Najet Berramdane.
Mahamadou a rejoint un groupe de sept stagiaires accompagnés par "Faire" pour élaborer un projet professionnel pendant leur détention, bénéficier d'un aménagement de peine et d'un suivi à leur sortie.
Ce dispositif EDIP (Espace dynamique d'insertion pénitentiaire) est une expérimentation destinée aux 18-26 ans, lancée en mai 2021 à Nanterre et orchestrée par le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) des Hauts-de-Seine.
Financé par le conseil régional d'Ile-de-France et en 2023 aussi par le conseil départemental des Hauts-de-Seine, il pourrait être dupliqué en région parisienne.
- Forum avec "des patrons" -
Mahamadou a notamment pu assister, en prison, à un forum avec "des patrons", dont un responsable d'une entreprise de gardiennage. "Une super rencontre".
Il avait d'abord décroché une formation de gardiennage, mais son casier judiciaire l'a rattrapé: des magistrats ont refusé qu'il l'intègre. Aujourd'hui, l'avancée de son plan B comme "chef d'équipe propreté" est une éclaircie.
Depuis sa création, l'EDIP a accompagné 35 détenus, dont 60% étaient récidivistes. Cinq ont quitté le dispositif, notamment pour des motifs de discipline, deux ont récidivé.
Mais 23 ont obtenu un aménagement de peine. Parmi eux, 22 travaillent ou suivent une formation en logistique, dans le bâtiment, la livraison...
"Un parcours de sortie de la délinquance a un côté chaotique", rappelle Laurent Ludowicz, directeur du SPIP.
S'il existait déjà des dispositifs de réinsertion, l'EDIP parvient à aider des "personnes très éloignées de l'emploi" sur des périodes de "plusieurs mois jusqu'à une année". "On a le temps de remettre la personne en confiance" pour "casser la mécanique" des "allers-retours" en prison.
Sortir. Cette perspective angoisse Zakaria (prénom modifié), "au bout du rouleau".
Regard dans le vide, il dit entendre des voix, que la télévision lui parle. Et ne pas comprendre pourquoi la prison lui "impose" de voir un psychiatre.
Au parloir, Zakaria finit par se confier. Il devrait bientôt voir sa peine aménagée mais, à sa sortie, il devra verser quelques dizaines de milliers d'euros aux parties civiles. Ce montant l'épouvante.
"C'est pour ça que tu provoques des bagarres ? Pour ne pas obtenir d'aménagement de peine ?", lui demande Najet Berramdane.
Son silence est une forme d'acquiescement.
"A ta sortie, on peut faire une demande en foyer jeunes travailleurs où tu auras un studio, mais il te faut un contrat", lui rappelle-t-elle.
En quittant le parloir, Zakaria semble plus tranquille. L'EDIP s'arrêtera toutefois ici pour lui: le lendemain, il est transféré dans un hôpital pénitentiaire sur décision médicale.
- Séance de psychoboxe -
Le mercredi, une cellule de la prison s'improvise ring de boxe.
Gregory, la vingtaine, les dreadlocks relevées en chignon, participe à une séance de psychoboxe organisée par l'EDIP, en complément des ateliers professionnels.
Gauche, droite. Esquive. "A chaque séance, je me sens plus actif, plus détendu", confie-t-il.
"Avant, tu t'avançais en punching ball, comme pour être puni", note Nabil Taoufik, psychoboxeur qui utilise "les gants de boxe comme outil dans une approche thérapeutique". "Aujourd'hui, tu subis moins les coups. D'ailleurs, tu ne dis plus que tu subis ta peine".
Gregory a été condamné à plus de deux ans d'emprisonnement. Ses projets sont "tombés à l'eau" mais "l'EDIP l'a réactivé": il espère obtenir une permission de sortie pour se rendre à un entretien dans la restauration.
La psychoboxe l'aide à garder cet état d'esprit, alors qu'"en prison, souvent, les gens attrapent des crises d'angoisse".
L'EDIP inclut aussi des séances avec une psychologue. "On fait état de ce qu'ils ont été", détaille Elisa Madouri Luc. "Je leur dis +ce que vous avez vécu, des violences pendant l'enfance par exemple, c'est peut-être votre réalité, mais ça ne veut pas dire que c'est normal+?. Puis je leur demande: +aujourd'hui, vous êtes adulte, que décidez-vous de faire? ?+"
Mahamadou connaît la réponse: après "six ramadans en prison", il veut célébrer le prochain en famille. "J'ai vraiment envie de voir ma nouvelle vie. A l'EDIP, ils ont tous eu de l'espoir pour moi. Moi aussi maintenant."