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Élisa, créatrice de contenus pour adultes, reçoit des messages de haine: comment son métier est-il perçu dans notre société?

Depuis le Covid, des plateformes qui proposent des contenus pour adultes ont vu leur nombre d’abonnés augmenter, avec la promesse pour les utilisatrices de monétiser des vidéos plus ou moins explicites. Mais ce type de site cache aussi une sombre réalité. Harcèlement, mépris, préjugés, c’est ce que dénonce Élisa, créatrice de contenus pour adultes, via notre bouton orange Alertez-nous. Comment ce métier est-il perçu aujourd'hui ?

Depuis deux ans, Élisa se présente comme étant une créatrice de contenus pour adultes. Aujourd'hui, face aux messages de haine reçus via les réseaux sociaux, elle dit ne pas comprendre ces réactions. Elle s'exprime sur sa démarche et ses activités professionnelles réalisées sur une plateforme en ligne. 

Déléguée commerciale dans une société de sécurité jusqu'en 2022, Élisa a décidé de changer de métier du jour au lendemain. "Je me suis dit que j’avais un potentiel. Au début, ça n’a pas forcément fonctionné, car je n’avais pas de visibilité sur la plateforme en ligne. Cela a très vite évolué", dit-elle. "Je n’avais pas le choix que ça marche, car j’avais démissionné de mon ancien travail. Je n’avais pas le droit au chômage et j’avais un prêt hypothécaire sur la tête. Je ne veux pas parler de mon salaire, car donner un chiffre pourrait influencer des personnes à faire ce métier."

Dès le début, Élisa dit avoir été consciente qu'elle ne pourrait plus faire marche arrière. "Une fois qu’on a décidé de faire ce métier, tout ce qui est sur Internet restera sur Internet."

La créatrice se dit également impactée par la perception de son activité professionnelle.

"Les gens disent que ce n’est pas un vrai métier. Les gens se mettent en tête qu’une créatrice de contenu va être millionnaire en postant un selfie. Cela ne fonctionne pas du tout comme ça. Pour les personnes lambda comme moi, c’est beaucoup plus complexe. La première étape est la prospection. Les clients ne me connaissent pas, donc c’est à moi à aller les chercher sur divers réseaux sociaux", indique-t-elle. "Ensuite, il y a la création de vidéos. Il faut se démarquer, car il y a de plus en plus de concurrence donc il faut amener de nouvelles idées. Ensuite, il y a le montage, car ça ne se passe pas toujours comme prévu. C’est la plus grosse partie de mon métier." 

En voulant se rendre davantage visible via les réseaux sociaux, Élisa reçoit régulièrement des messages de haine. 

"Quand on lance un direct pour amener des futurs fans sur ma plateforme, vous vous doutez bien qu’on reçoit des retours. Il y a beaucoup de personnes haineuses. La plupart du temps, ce sont des femmes. On me dit que je n’ai pas de principes, pas de valeurs… Elles jugent très facilement. Je comprends les personnes qui ne partagent pas mes valeurs, il n’y a pas de problème. Ce qui me touche le plus, c’est qu’on me dise que ce n’est pas un vrai métier. Les gens ne retiennent que la partie négative. Il y a des fans qui sont là uniquement pour me parler, plus que pour les photos et les vidéos. Ils m’apprécient. Ce sont des gens seuls qui ont besoin de la partie virtuelle."

Pour Isabelle Jaramillo, directrice de l’association Espace P (qui défend les droits et intérêts des travailleuses/eurs du sexe), les personnes qui s’exposent en ligne sont parfois victimes de harcèlement. "Il faut savoir que, sur tout ce qui se rapporte au numérique, les personnes expriment plus facilement leur frustration. Et quand on a affaire au sexe tarifié, malheureusement, force est de constater que c’est encore plus explosif en termes d’agressivité."

Comment le métier pratiqué par Élisa est-il perçu dans notre société ? Pour tenter de répondre à cette question, nous avons interrogé Jacques Marquet, sociologue à l'UCLouvain.

"Ce dont on parle dans ce cas-ci fait partie d’un ensemble d’activités qui relèvent de ce qu’on appelle le travail du sexe, qui comprend une multitude d’activités. Il faut comprendre qu’il y a une part significative de la population qui considère que la seule sexualité légitime est celle qui prend place dans le cadre du couple conjugal. Ici, ce n’est pas le cas. De ce point de vue-là, ce type de sexualité peut être disqualifié pour certaines personnes", explique l'expert.

Et de poursuivre : "S'ajoute aussi le fait que la plupart de ces activités sont tarifées. L’argent vient s’insérer dans la sexualité. L’argent perçu contre des services sexuels vient alors disqualifier une deuxième fois ce type de pratique qui se retrouve alors doublement stigmatisée, doublement perçue comme étant immorale. S’il y a une part importante de la population qui considère que chaque individu peut faire ce qu’il veut de son corps, il y a cette partie de la population qui considère que ce type de sexualité n’est pas moralement acceptable."

Le sociologue indique que l’arrivée d’Internet dans les foyers a modifié en partie le regard porté sur les travailleurs du sexe. "On se rend bien compte que, dans les jeunes générations, la consommation de contenus pornographiques est beaucoup plus importante, et beaucoup plus tolérée que dans les générations précédentes, qui n’ont pas connu une aussi grande disponibilité par rapport à ce type de contenu. Il y a un effet générationnel qui est certain, et qui est lié en bonne partie à l’appropriation plus facile de ce type de contenu (...). Dans la jeune génération, beaucoup dès l’âge de 18 ans, ont déjà vu des contenus pornographiques. Il y a une certaine banalisation du phénomène."

Concernant les messages de haine envoyés à des créateurs de contenus pour adultes comme Élisa, Jacques Marquet indique que "les personnes qui vont adresser ces messages ne sont pas nécessairement les consommateurs. Il y a la population qui condamne ce type de pratique et qui n’utilise pas nécessairement ces contenus. (...) Cela peut déranger toutes les personnes qui considèrent qu’en parler peut faire de la publicité. Si ces personnes pour des raisons légitimes et moins légitimes considèrent que l’accès devrait être rendu plus compliqué pour les jeunes, on peut comprendre qu’il peut y avoir des réserves de la part d’une partie de la population. Une des difficultés aussi est l’accompagnement, l’encadrement des populations plus jeunes par rapport à des contenus pour lesquels ils ne sont pas préparés. Notre société a certainement un travail de pédagogie à faire." 

Quels sont les risques pour les créateurs de contenu ? "Les risques se présentent pour les personnes qui ne connaissent pas très bien ce dans quoi ils mettent les pieds. Les injures derrière l’écran, c’est très facile, mais il y a toujours la crainte que cette violence se transforme en violence dans la rue. Si ces personnes n’ont pas anticipé cela et qu’elles ne se sont pas construit une routine pour ne pas se mettre en danger, oui, c’est une situation qui peut être difficile à vivre", conclut Jacques Marquet.

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Commentaires

2 commentaires

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  • "Créatrice de contenu" pas mal comme circonvolution linguistique pour qualifier une s***pe d'actrice porno. Un peu comme "non voyant" pour aveugle, il ne voit pas mieux mais c'est moins choquant. Si elle a déjà du mal d'assumer son "métier", pas étonnant que les autres ne la respectent pas.

    Mick Mick
     Répondre
  • Respect à cette créatrice qui osé parler de son métier, dans cette société et ça reste quand même tabou. J'ai eu l'opportunité de parler avec elle sur les réseaux, et elle est d'une gentillesse et d'une force de caractère, que je ne comprends d'insulter gratuitement cette créatrice sans la connaître...

    Benoit Vanderbempden Vanderbempden
     Répondre