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"On reçoit des plaintes pour maltraitance tous les jours": le permis de détention des animaux instauré en Wallonie est-il efficace?

Depuis le 1er juillet 2022, un permis de détention est obligatoire pour acquérir un animal de compagnie en Wallonie. Mais certains déplorent des failles dans ce permis. Au total, seulement 50 personnes seraient déchues de leur droit, alors que 800 plaintes sont faites chaque année. Explications. 

"J’ai découvert en allant chercher des poules qu’il me fallait un permis de détention d’animaux. J’étais surpris", nous envoie Jean-Marc via le bouton orange Alertez-nous. Cet habitant de Binche remet en cause l’utilité d’un tel permis, ou en tout cas son application actuelle : "Pour le bien-être animal c’est bien, mais embêter 3 millions de Wallons pour détenir 2 ou 3 poules, je trouve ça un peu fort, surtout pour une cinquantaine de personnes seulement qui n’ont plus le droit d’avoir des animaux", déplore-t-il. 

Pour lui, il existerait des moyens plus efficaces pour lutter contre la maltraitance animale, comme ficher toutes les personnes qui ne peuvent plus détenir d’animal de compagnie. Ainsi, "ceux qui ont le droit ne seraient plus embêtés", estime Jean-Marc. 

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Le permis de détention d’animaux présente-t-il des failles? Pourrait-il être amélioré? Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons rencontré Céline Tellier, ministre wallonne du Bien-être animal, et Franck Goffaux, directeur de la SPA de Charleroi. 

A quoi sert ce permis de détention ?

Instauré depuis 2019 par le Code wallon du Bien-être des animaux, le permis de détention d'un animal de compagnie est devenu effectif le 1er juillet 2022. Ce permis a deux grands objectifs, que détaille Céline Tellier : 

  • Eviter les faits de maltraitance, et surtout, les personnes qui récidivent, précise-t-elle. "Par exemple, il y a 1 mois, une personne a été condamnée pour des faits de maltraitance grave et son permis lui a été retiré. Pendant 10 ans, elle ne pourra pas acquérir un nouvel animal", ajoute la ministre ;
  • Et le deuxième objectif est d’éviter les achats impulsifs : "Le permis permet d’imposer un délai de réflexion et d’être certain de son acquisition et ainsi, éviter les risques d’abandon aussi". 

"Ce type de dispositif, en complément d’autres choses bien évidemment, va permettre de conscientiser la population sur le fait qu’on n’achète pas un animal comme on achèterait un t-shirt", développe Céline Tellier. 

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Comment fonctionne ce permis de détention ?

Concrètement, comment fonctionne ce permis de détention ? Quels animaux sont considérés comme animaux de compagnie ? Y a-t-il une liste établie ? "On a une conception de l’animal de compagnie comme un animal que vous avez chez vous sans raison commerciale ou d’élevage", explique Céline Tellier. 

Pour les espèces à cheval entre animal de compagnie et animal d’élevage, comme les poules par exemple, le bien-être animal les considère comme des animaux de compagnie. "À partir du moment où vous n’avez pas une activité professionnelle liée à cela, on considère que c’est un animal de compagnie", précise-t-elle. 

Quelle validité a ce permis de détention ?

Le permis demandé à la commune a une validité de 30 jours. Par contre, pour certaines espèces spécifiques comme les oiseaux, notamment les volailles, mais aussi les poissons, il a une durée de validité d’1 an. 

Où se le procurer ?

Le cabinet de la ministre aimerait rendre cet extrait numérique afin de pouvoir l’obtenir plus rapidement en ligne. "Aujourd’hui, c’est un peu comme si vous alliez chercher un document administratif à votre commune : vous vous y rendez et vous recevrez ce permis de détention qui est donné par défaut à tout le monde", explique la ministre.

Par contre, si vous avez été condamné pour des faits de maltraitance, la commune en est informée et ne vous délivrera pas le permis. Autre précision apportée par la ministre: "Le permis est valable pour l’ensemble des membres d’une même famille: si un des membres a été déchu de son droit de détenir un animal, c’est donc l’ensemble de la famille qui ne pourra pas en bénéficier, s’ils habitent sous le même toit en tout cas".

Est-il gratuit ? 

La gratuité du permis dépend des communes : "Ce sont elles qui déterminent le prix éventuel de l’extrait administratif, comme pour d’autres, c’est la compétence de la commune", précise Céline Tellier. La plupart des communes le donnent gratuitement. D’autres le monnayent 1 ou 2 euros, parfois un peu plus. "Mais ce sont des chiffres très bas", assure-t-elle.

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Pas assez de sanctions par rapport au nombre de plaintes pour des faits de maltraitance, déplore la SPA

Pour Franck Goffaux, directeur de la SPA de Charleroi, ce système présente des failles : "Je pense que le permis a du bon car on doit éviter un maximum de maltraitance animale. Aujourd’hui, on en a trop. Ce que je lui reproche, ce sont les sanctions judiciaires qui ne suivent pas", explique-t-il. 

Aujourd’hui, seulement une cinquantaine de personnes ont été condamnées pour des faits de maltraitance en Wallonie. Celles-ci sont déchues de leur droit à détenir un animal. Un chiffre bien bas comparé au 800 plaintes reçues chaque année pour des faits de maltraitance : "On reçoit des plaintes tous les jours. Le souci c’est qu’il n’y pas de sanction et que la justice ne suit pas. Il y a 9 chances sur 10 qu’une personne ne soit pas sanctionnée", déplore-t-il. 

Ce système de permis présente des failles d’après la SPA 

D’après ses chiffres, sur les 206.000 habitants de Charleroi, personne n’est déchu de son permis. "Pourtant on reçoit des plaintes tous les jours", s’indigne Franck Goffaux. "Donc les personnes qui voient leur animal être confisqué ne verront pas leur permis retiré", ajoute-t-il.  

Tellement peu de personnes sont sujettes à cette déchéance que ça n’a pas de sens

Hier encore, la SPA de Charleroi récupère 3 chiens "dans un état cachectique", explique-t-il. "On les a récupérés en urgence via un abandon volontaire pour pouvoir récupérer les animaux au plus vite. Cette personne, si elle se présente à la commune, elle recevra son extrait qui sera à nouveau vierge et pourra acquérir un nouvel animal de compagnie dès le lendemain, puisque la justice ne suit pas", développe le directeur de la SPA de Charleroi. 

Et puis, le permis n’est pas délivré uniquement aux personnes condamnées. Pour les autres, et même si leurs animaux sont saisis par la SPA ou une autre asbl, s’il n’y a pas de condamnation, ils bénéficient encore de leur droit à détenir un animal. Une situation paradoxale pour Franck Goffaux : "Aujourd'hui, ce permis ne change rien, hormis qu'il faut prendre le temps d'aller chercher ce document à la commune. Tellement peu de personnes sont sujettes à cette déchéance que ça n’a pas de sens. Il faut que beaucoup plus de personnes soient déchues", estime-t-il. 

Autre faille : le permis est lié au numéro national, explique-t-il, "ce qui veut dire que dans un couple, si une des deux personnes est déchue de ce droit, l'autre conjoint pourra bizarrement acquérir un animal, s'ils n'habitent pas à la même adresse". 

Que faudrait-il faire pour que le permis soit plus efficace ? 

Pour lui, il faudrait étoffer ce permis afin qu’il soit plus efficace et qu’il lutte vraiment contre la maltraitance animale. Autre point avancé par Franck Goffaux : la déchéance, qui dure 10 ans actuellement. "Il faudrait pouvoir le faire à vie quand l’infraction est à la hauteur", estime-t-il.  

En tout cas, pour l’instant, il est trop tôt pour voir de réels effets : "On espère qu’il y aura un avant et un après. Pour que ce fameux système porte ces fruits, il faut que la justice suive et que les sanctions tombent", conclut-il.

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