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Après quatre mois passés à décortiquer le commerce d'armes vers l'Angola orchestré par Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak, le tribunal de l'Angolagate entendra mercredi l'accusation dire les sanctions pénales qu'elle réclame contre les deux associés et leurs nombreux "obligés".
Quand ils écouteront le procureur requérir amendes et peines de prison -sans doute aussi quelques relaxes-, les 42 prévenus auront été frappés la veille au portefeuille par les parties civiles réclamant des dizaines de millions d'euros de dommages et intérêts.
Le liquidateur judiciaire de Brenco, société de Pierre Falcone, l'administration fiscale et le Pôle Emploi, tous parties civiles dans le procès de l'Angolagate, ont demandé mardi "réparation" pour leurs préjudices subis.
Pour le mandataire-liquidateur, Me Olivier Pardo entend recouvrer "l'ensemble des sommes" dont la société Brenco a été dépouillée en raison des abus de biens sociaux qu'aurait commis le "gérant de fait" de Brenco, Pierre Falcone, mais aussi des nombreux recels d'abus de biens sociaux reprochés à ses "obligés". Au total, Me Pardo a réclamé pour Brenco 133,96 millions d'euros, à payer par Pierre Falcone, en partie solidairement avec d'autres prévenus.
Curieusement, si Brenco récupérait cette somme, une bonne partie pourrait revenir in fine à la famille Falcone. Brenco n'accusait au moment de sa mise en liquidation qu'un déficit de 10,6 millions d'euros et, une fois ce trou comblé et les impôts payés, le solde reviendrait aux actionnaires, à savoir des parents de Pierre Falcone.
Les défenseurs du fisc ont de leur côtés souligné les importants bénéfices qu'aurait réalisés la société slovaque ZTS Osos, utilisée par Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak pour leur commerce d'armes de guerre vers l'Angola dans les années 90. Ils ont demandé au tribunal de faire droit à leurs demandes, le montant lui-même des réparations devant être décidé au civil.
Pour les Assedic, aujourd'hui regroupés dans le Pôle Emploi, Me Cécile Sandoz a réclamé quelque 190.000 euros de préjudice qu'aurait commis l'un des prévenus, Bernard Poussier, accusé d'avoir touché pendant plusieurs années des allocations chômage alors qu'il travaillait de manière "occulte" pour Brenco.
Auparavant, les avocats de la défense avaient lancé une dernière offensive contre l'instruction menée par le juge Philippe Courroye, demandant en vain l'annulation de son ordonnance de renvoi, au motif notamment qu'il avait fait preuve de "partialité", aurait eu de nombreux contacts avec l'ancien directeur des Renseignements généraux Yves Bertrand, n'aurait mené qu'une enquête "partielle" auprès de Paribas, la banque utilisée par les associés pour financer leur commerce d'armes. Autant d'allégations que le magistrat a déjà réfutées.
Commerce illicite d'armes, abus de confiance, de biens sociaux, fraude fiscale... les deux associés risquent 10 ans de prison, tandis que la plupart des personnalités qui auraient bénéficié de leurs largesses encourent 5 ans. C'est le cas de Paul-Loup Sulitzer, Georges Fenech, Jacques Attali ou Jean-Christophe Mitterrand, mais pas de Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani, dont la peine pourrait être doublée puisque l'un, ancien élu, et l'autre, ancien préfet, étaient "dépositaires de l'autorité publique".
420 chars, 150.000 obus, 170.000 mines anti-personnel, 12 hélicoptères, six navires de guerre... Personne ne conteste la réalité de ce commerce d'armes de guerre de l'ancien bloc communiste, vendues de 1993 à 1998 pour quelque 790 millions de dollars à l'armée de l'actuel président angolais Jose Eduardo Dos Santos, alors combattant d'une sanglante guerre civile.
Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak assurent qu'il n'y avait là rien d'illégal puisque ces ventes étaient effectuées par leur société slovaque ZTS Osos, et n'avaient donc pas besoin d'autorisation de l'Etat français.
Pour l'accusation, cette société n'était qu'une façade pour des opérations menées en fait depuis Paris, où les contrats étaient signés et les Angolais somptueusement reçus.
Mais aucun d'entre eux n'a été inquiété; Gaydamak est en fuite en Israël; Falcone se retranche derrière le "secret défense" de Luanda et les prévenus sont souvent revenus sur leurs déclarations aux enquêteurs : les débats n'ont donc guère jeté de lumière sur ce "trafic", malgré une lettre du ministre de la Défense, Hervé Morin, assurant qu'aucune autorisation n'était nécessaire pour des armes ne transitant pas par la France.
Traquant méthodiquement les circuits d'argent, caché dans des paradis fiscaux ou des sacs plastique, le tribunal a en revanche mis au jour les importantes sommes versées par Pierre Falcone à ses collaborateurs et de nombreuses personnalités. Patriarche à la "générosité compulsive", selon l'expression d'un avocat, l'homme d'affaires distribuait les "pots de vin" pour se constituer tout un réseau d'obligés et obtenir passe-droits et faveurs, estime l'accusation.
Ces sommes, souvent perçues en cash ou sur des comptes en Suisse, constituaient une juste rémunération, ont répliqué les prévenus. Jean-Christophe Mitterrand assure par exemple avoir apporté sa connaissance de l'Afrique et Paul-Loup Sulitzer celle des médias, mais ni l'un ni l'autre ne peuvent produire le moindre contrat ou travail écrit.
