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Un nouveau décret des autorités flamandes va réformer le système des gardes d'enfants. Kind en Gezin obligera désormais ses crèches affiliées à parler le néerlandais, avec certificat officiel à l'appui. Mais cela va-t-il aller plus loin ? Nous avons confronté les craintes de trois responsables de crèches aux déclarations officielles de Kind en Gezin.
Ce n'est pas un scoop: Bruxelles est une région bilingue, où l'on parle majoritairement le français. On pourrait donc croire que toutes les crèches dépendent de l'ONE, l'Office National de l'Enfance. Mais ce n'est pas le cas: pour des raisons administratives et économiques (voir encadré), certaines crèches privées décident d'adhérer à Kind en Gezin, l'équivalent flamand de l'ONE.
Une coopération qui se déroulait bien jusqu'à présent. Certes, les démarches et la correspondance étaient en néerlandais, mais "les inspecteurs, qui passent chaque année, acceptaient de faire les contrôles en bilingue. Ça se passait très bien", nous a confié la responsable d'une crèche privée dans une commune à facilité de Bruxelles, qui préfère rester anonyme.
Un nouveau décret en avril 2014
Mais les choses s'apprêtent à changer: de nouvelles règles vont bientôt entrer en application, au mois d'avril 2014. Le "decreet kinderopvang voor baby's en peuters", que l'on peut traduire en français par "décret pour la garde des bébés et des petits enfants", va bouleverser certaines crèches francophones.
Les autorités flamandes entendent "rendre les services de garde d'enfants plus accessibles, plus professionnels et plus clairs", peut-on lire en marge de la présentation de ce décret. Il va réglementer les infrastructures, la fiscalité, le nombre de crèches et leur accessibilité, la formation des puéricultrices, les subsides, etc… Bref, la garde de l'enfance est réformée en Flandre, et à Bruxelles, où les crèches peuvent choisir entre l'ONE et Kind en Gezin.
"Certificat de maîtrise du néerlandais"
Dans cette réforme s'est glissé un petit paragraphe qui fait trembler toutes les crèches francophones agréées auprès de Kind en Gezin: "un certificat de maîtrise du néerlandais" devra être présenté. "Le décret n'est pas clair. On a eu l'explication lors d'une visite d'un inspecteur: tous les responsable de crèche devront prouver qu'ils maîtrisent le néerlandais, mais également une puéricultrice par établissement", nous a confié une autre directrice.
Une autre a été plus précise: "Un inspecteur est venu il n'y a pas longtemps. Je lui ai dit bonjour en français et il m'a répondu: 'quand je reviendrai, il faudra parler en néerlandais', précisant qu'il allait y a avoir d'énormes changements".
La responsable et au moins une puéricultrice
En effet, dans la documentation accessible sur le site de Kind en Gezin, dans l'espace "Nouveau décret", on apprend que le responsable de la crèche, et au moins une puéricultrice par établissement, devront présenter un certificat de connaissance du néerlandais "de niveau CECR", (cadre européen commun de référence).
Des crèches francophones, avec du personnel francophone et des enfants francophones, devront donc prouver qu'elles maitrisent le néerlandais. Ce qui va poser problème… "Mon niveau de néerlandais ? 'Een beetje'. J'ai toujours eu du mal, j'ai déjà suivi de nombreux cours, mais c'est compliqué pour moi. Je me suis inscrit à des cours d'hypnose, ça a l'air de marcher. Ma collègue se débrouille bien, mais elle a peur que ça ne soit pas suffisant pour réussir l'examen, elle a aussi repris des cours".
Un niveau élevé en néérlandais...
"Pour 'lire et écrire', ce sera le niveau B1. Mais pour écouter et parler, ce sera le niveau B2 (plus poussé, NDLR)", nous a précisé la porte-parole de Kind en Gezin, Leen Du Bois.
Nous avons appelé le Selor pour connaitre la difficulté de ce test. "Pour réussir le B1, il faut maitriser la langue, il faut être autonome en néerlandais et pouvoir tenir une conversation de manière indépendante. Même si on peut commettre des fautes. Ça ne se réussit pas en 1, 2, 3…", nous a-t-on expliqué.
Bref, les vieux souvenirs d'école secondaire ne suffiront pas…
"Des crèches vont fermer"
Cette nouvelle réglementation concernant la maitrise du néerlandais fait donc peur à tous les responsables de crèches agréées auprès de Kind en Gezin. "On n'a pas le choix, on doit apprendre le néerlandais en quelques mois", nous ont confié les directrices. "On va faire le maximum, mais on ne pourra pas toutes réussir le test. Tout le monde va suivre des cours, mais le niveau B1 est très élevé".
"J'ai 58 ans, je me suis toujours occupé d'enfant, et j'en ai ras-le-bol qu'on me dise comment je dois travailler. Ça fait deux ans qu'on parle de ce décret, et si ça continue je vais aller m'installer dans le Brabant wallon. Des crèches vont fermer", nous a expliqué une directrice de Sterrebeek, une commune flamande de la périphérie de Bruxelles. Mais dans sa crèche, "il y a beaucoup d'enfants d'expats et de francophones, et un enfant néerlandophone dont les parents veulent qu'on parle français. Tous les parents sont très contents"
Tutjes ou Tututes ?
Mais les choses pourraient aller bien plus loin: deux responsables de crèches contactées ont eu des mises en garde lors de la dernière visite de l'inspecteur de Kind en Gezin, il y a une semaine. "On nous a dit que le plus important n'était pas de parler le néerlandais, mais de devenir une crèche néerlandophone. Les courriers adressés aux parents, les affiches dans la crèche, le site et même le nom de la crèche. Tout devra être en néerlandais. On ne pourra plus écrire 'tututes', mais 'tutjes'…"
Pire: les crèches devraient, en avril 2014, réserver un quart des places pour des néerlandophones. "Mais il n'y a pas de demande…", nous dit-on. Enfin, cerise sur le gâteau: "Les brevets de secourisme délivrés par la Croix-Rouge ne seront plus valables ! Tout le monde devra passer un certificat auprès d'un organisme de premiers secours néerlandophone".
Alors, rumeurs folles ou projets concrets ?
Kind en Gezin dément et rassure
Ces informations, que l'on ne retrouve pas dans le décret, ont été formellement démenties par la porte-parole de Kind en Gezin, à qui l'on a confié les craintes des directrices contactées: "Il faudra en effet que le responsable de la crèche parle le néerlandais, et une puéricultrice par crèche. Mais après, dans la crèche, on peut parler toutes les langues, même le pakistanais", nous a expliqué Leen Du Bois.
Selon elle, "il y a des rumeurs qui circulent, car les gens ont peur".
Un quart de Néerlandophones par crèche ? "C'est faux, c'est uniquement pour ceux qui veulent des subsides, ce n'est pas obligatoire".
Des affiches uniquement en néerlandais ? "Ce ne sera pas obligatoire. Kind en Gezin encourage l'usage des langues à la crèche. Un petit Albanais qui parle sa langue avec ses parents, il faut le stimuler au néerlandais dans la crèche. Tous les outils pédagogiques sont en néerlandais, donc on recommande l'usage du néerlandais dans les crèches, mais ce n'est pas obligatoire".
De la souplesse et de la prévention
Enfin, quant aux sanctions éventuelles, elles ne sont pas pour tout de suite. "Kind en Gezin va appliquer ce décret en douceur. On va voir comment les crèches s'en sortent, on ne va certainement pas leur retirer l'agrégation dès le 1er janvier. On va attendre un an avant de contrôler, car il y a de nombreux changements pour toute la Flandre. On veut que pour 2020, toutes les règles soient appliquées... Il y aura donc une longue période de transition".
L'organisme est également en pleine réflexion avec l'ONE pour éclaircir le cas des crèches de Bruxelles. "Il y a un plan en cours, pour simplifier l'adhésion des crèches de Bruxelles à Kind en Gezin ou à l'ONE", nous a confié la porte-parole. Pour faire simple, les francophones devront aller à l'ONE et les néerlandophones à Kind en Gezin. Plutôt logique.
Pour expliquer cela, ainsi que le nouveau décret, "des séances d'informations sont prévues au mois de décembre. On aidera également les crèches qui veulent changer d'organisme".
Conclusion
Les crèches francophones qui sont affiliées à Kind en Gezin par choix (pour Bruxelles) ou par obligation (pour les communes de la périphérie) devront bel et bien apprendre le néerlandais, voire même le maîtriser. Et ce même si elles n'ont jamais perçu, et n'ont jamais souhaité percevoir, le moindre subside.
L'organisme lui-même avoue qu'il "ne sait pas encore comment il contrôlera cette connaissance de néerlandais". Mais de toute façon, ça n'est pour tout de suite. Il y aura une "longue période de transition" avant d'éventuelles sanctions.
Les rumeurs folles qui circulent (on ne pourra plus écrire 'tututes' mais 'tutjes') ont été démenties par Kind en Gezin.
Parallèlement, le projet de "clarification" des crèches de Bruxelles (qui peuvent pour l'instant choisir entre l'ONE ou Kind en Gezin) montre bien la volonté d'éviter, à l'avenir, que les crèches francophones ne dépendent des autorités flamandes.
