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Le redémarrage du réacteur Doel 4, initialement prévu pour le 23 octobre, a été repoussé provisoirement au 30 novembre en raison de dommages découverts lors des inspections. Ce retard soulève dès lors plusieurs questions : l'approvisionnement en électricité est-il menacé pour la période hivernale qui s'annonce ? Le mix énergétique belge suffira-t-il à compenser un éventuel déficit de l'énergie nucléaire ?
L'an dernier, le gouvernement a décidé de prolonger la durée de vie des réacteurs Doel 4 et Tihange 3, qui devaient initialement être mis hors service en 2025. Ils pourront finalement continuer à être opérationnels jusqu'en 2035. Or, depuis le 28 août dernier, le quatrième réacteur de la centrale nucléaire de Doel est à l’arrêt pour une maintenance planifiée. Cet arrêt, qui devait initialement durer un peu plus d’un mois, a permis à l’exploitant du parc nucléaire, le groupe Engie, de réaliser plusieurs inspections sur Doel 4.
Ces contrôles ont révélé des dommages au niveau des armatures de la coupole, qui fait partie de l'enveloppe externe de l'installation située en région anversoise. Des analyses supplémentaires seront nécessaires afin de déterminer l'étendue des dégâts, ce qui prolongera l'arrêt de la centrale. Sa remise en service, initialement prévue pour le 23 octobre, a été provisoirement reportée au 30 novembre.
“La perte de Doel 4 n'est pas trop embêtante s'il revient en opération d'ici le mois de décembre,” explique Damien Ernst, professeur en électromécanique à l’Université de Liège et expert en énergie. “Par contre, ce serait très problématique de ne pas l'avoir en opération de mi-décembre jusqu'à mi-février, car ce sont les deux mois pendant lesquels on peut se prendre de très grosses vagues de froid", souligne-t-il.“Il ne faut pas oublier qu'il ne nous reste plus que Doel 1 et 2 ainsi que Tihange 1 et 3 en fonctionnement. La perte d'une autre unité nucléaire serait problématique, car la marge de manœuvre au niveau de la sécurité d’approvisionnement est très faible.”
Dans le cas où Doel 4 ne serait pas opérationnel pour l'hiver, la Belgique pourrait se retrouver avec seulement 3 gigawatts de production nucléaire, soit la moitié des 6 gigawatts disponibles lorsque l’ensemble des réacteurs étaient encore en service il y a quelques années. En outre, il faudrait également tenir compte d’éventuels incidents supplémentaires. “Un problème sur une autre centrale nucléaire, sur une unité de production au gaz ou même sur une ligne d’interconnexion pourrait fragiliser davantage la situation”, prévient le spécialiste, pour qui la situation la plus dangereuse serait “un grand froid sans vent.”
En hiver, les énergies renouvelables comme l'éolien et le photovoltaïque deviennent beaucoup moins productives. Ainsi, le photovoltaïque reçoit moins de lumière en raison des journées plus courtes et des conditions météorologiques souvent moins favorables. "En cas de grand froid durant la période de mi-décembre à mi-février, cela pourrait poser de sérieux problèmes puisque ces périodes de froid sont souvent accompagnées de conditions anticycloniques, où l'éolien et le photovoltaïque produisent peu. Cela nous exposerait davantage à un risque de sécurité d'approvisionnement", ajoute l'expert. “La seule chose qui peut compenser, c'est la centrale au gaz. Mais la Belgique n’a pas construit de nouvelles centrales à gaz depuis longtemps.”
Deux nouvelles centrales à gaz sont actuellement en cours de construction, l'une à Seraing et l'autre à Flémalle, et elles devraient ajouter 2 gigawatts de capacité supplémentaire d'ici 2025. Ces nouvelles installations sont destinées à “compenser la perte de Doel 1 et 2, ainsi que de Tihange 1 en 2025”, mais, comme le professeur le souligne“, elles ne sont pas encore en opération.”
Quand une centrale ne produit pas, il y a moins d’électricité disponible sur le marché, ce qui conduit souvent à une augmentation des prix
En plus du risque de pénurie, la réduction de l'offre électrique pourrait également entraîner une hausse des prix. “Quand une centrale ne produit pas, il y a moins d’électricité disponible sur le marché, ce qui conduit souvent à une augmentation des prix. Cela ne se reflète peut-être pas immédiatement sur la facture, mais c'est tout de même significatif", note l'expert.
12 gigawatts de consommation de pointe en hiver
Le mix énergétique belge inclut actuellement environ 9 gigawatts d'énergie solaire, 5,3 gigawatts d’éolien, 4 gigawatts de production nucléaire, et à peu près 7 gigawatts provenant des centrales à gaz. Des valeurs qui, cumulées, sont suffisantes dans des conditions normales. Cependant, comme l'explique le professeur de l'ULiège, “le problème se pose lors des pointes de consommation qui s'élèvent à 12 gigawatts en hiver.” En période de grand froid, lorsque seuls le gaz et le nucléaire peuvent produire de l’électricité, la Belgique est limitée à un maximum d'environ 10 gigawatts. “Or, si on se retrouve avec 3 gigawatts de nucléaire, on ne peut pas couvrir la pointe de consommation électrique et donc on est obligé de dépendre des importations à l'étranger,” affirme-t-il.
Toutefois, cette option devient incertaine lorsque plusieurs pays européens sont confrontés aux mêmes conditions météorologiques. “Quand il fait froid en Belgique, et que la vague de froid descend aussi en France, celle-ci doit alors aussi importer massivement. Alors oui, l'Allemagne est un peu en surplus, mais moins depuis sa sortie du nucléaire.”
Un autre facteur aggravant est l'augmentation de l'usage du chauffage électrique, notamment avec le développement des pompes à chaleur en Belgique. “Par exemple, en France, à chaque degré de baisse de température, la consommation électrique augmente de 2,5 gigawatts, soit l'équivalent de la production de 2,5 réacteurs nucléaires,” détaille-t-il.
Enfin, la Belgique avait déjà frôlé une pénurie d'électricité il y a une dizaine d'années, lorsque Doel 4 avait été saboté et que Tihange 2 et 3 avaient été temporairement mis hors service à cause de problèmes liés à l'hydrogène. “À l'époque, on a eu la chance de ne pas subir de vague de froid, sinon la sitution aurait pu être très critique,” se souvient le spécialiste. “Aujourd'hui, on n'est pas encore dans un cas de figure catastrophique, mais on est plus fragilisé", prévient-il.