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Avant, Ibrahim Abdelqadir vendait ses tomates à Khartoum. Depuis que la capitale soudanaise est à feu et à sang, il essaye de les écouler dans les villages alentour. Mais là, il faut vendre à perte à des déplacés sans le sou.
"Ils me proposent 2.000 livres soudanaises", soit trois euros, "pour dix kilos et ça ne couvre même pas mes frais de transport", raconte-t-il à l'AFP.
Non seulement le prix de l'essence a été multiplié par 20 depuis le début de la guerre le 15 avril, mais "plus aucun chauffeur routier ne veut aller à Khartoum et risquer de mourir ou de perdre son camion", dit-il.
Malgré tout, en pleine saison des récoltes, dans les villages proches de Khartoum, des hommes s'activent, bêche à la main, pour sortir les oignons de terre.
Al-Khatib Yassine, 40 ans, djellaba beige et calotte assortie, cultive la cacahuète qui a fait la réputation mondiale du Soudan.
"On a un seul problème", dit-il à l'AFP. "Il n'y a pas d'acheteurs" pour faire vivre le secteur agricole, qui représente près de 40% du PIB du Soudan et jusqu'à 80% des emplois dans les zones rurales, selon l'Ifad, le Fonds international de développement agricole.
Hussein al-Amine, lui, a deux hectares de gombos. Mais il n'en a pas vendu un seul depuis le 14 avril.
"Mes plants sont en train de pourrir", déplore-t-il, parce que, faute de carburant, il ne peut plus faire tourner ses pompes pour puiser l'eau du Nil.
Selon l'ONU, 65% des Soudanais vivaient sous le seuil de pauvreté en 2020. La faim touchait un habitant sur trois avant la guerre. Aujourd'hui, alors que l'aide alimentaire a été pillée et les humanitaires attaqués, une mauvaise saison agricole serait le coup de grâce.
Déjà l'ONU prévient que 2,5 millions de personnes supplémentaires auront faim quotidiennement si la guerre dure.
"On pensait que la guerre se terminerait rapidement, mais on dirait qu'on s'est bien trompés", se lamente M. Amine.
- Au compte-goutte -
Depuis que les combats ont éclaté entre les deux généraux rivaux, Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdane Daglo, plus de 750 personnes sont mortes, 5.000 ont été blessées et près d'un million ont quitté leur maison, dont un cinquième vers les pays voisins.
Sans espoir de voir les armes se taire à Khartoum, Haram Adam a préféré abandonner son petit café de la capitale, laissant derrière elle des millions d'habitants barricadés chez eux.
A Al-Hasaheisa, dans l'Etat d'Al-Jazira, à 120 kilomètres au sud de Khartoum, elle a retrouvé l'eau courante, quelques heures d'électricité par jour et surtout elle n'entend plus les bombardements permanents.
Mais avec ses trois filles, elle peine à réunir quelques livres pour survivre.
"A Khartoum, je gagnais environ 100.000 livres par jour, aujourd'hui j'en gagne à peine 10.000" en vendant au compte-goutte des verres de thé ou de café à la cardamome ou au gingembre dans la rue, raconte-t-elle à l'AFP.
Adam Eissa est parti de Khartoum sans son outil de travail: il a laissé ses trois machines à coudre dans l'atelier qui le faisait vivre depuis 30 ans avec les cinq membres de sa famille.
"Maintenant je dois louer une machine et payer un loyer" pour le petit espace qu'il a trouvé à Al-Hasaheisa, "alors même que je ne gagne quasiment plus rien", confie-t-il.
Zaher Dafaallah, lui, n'a pas d'atelier qui l'attend à Khartoum. "Je travaillais dans une aciérie tenue par des étrangers. Le jour où la guerre a éclaté, ils ont fermé l'usine et on a perdu le contact".
Zaher et sa famille ont vu à la télévision, dans le village où ils se sont réfugiés, les convois d'étrangers fuyant Khartoum vers la mer ou des bases aériennes pour des évacuations organisées dans la précipitation.
"J'espère seulement qu'ils n'ont pas décidé de quitter le pays pour toujours", dit-il.