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Campée dans le rayon pâtes d'un hypermarché de Villeneuve-la-Garenne, en proche banlieue parisienne, Saïda Chabani scrute les étiquettes, "obligée de regarder les prix" depuis leur envolée. Sa marque fétiche étant trop chère, elle se baisse pour prendre en rayon deux paquets de la marque distributeur.
A 95 centimes contre 1,75 euro les 500 grammes de fusillis, c'est le premier paquet qui remporte le match de la lutte anti-inflation. "J'espère que ça va changer parce qu'on souffre", soupire la jeune femme de 28 ans, coordinatrice pédagogique dans une école de commerce.
"Je suis obligée de me limiter, de prendre le nécessaire: les pâtes, la sauce bolognaise, le riz... Les légumes, c'est très cher aussi mais c'est la santé donc pas le choix", détaille cette habitante d'Aubervilliers, qui a réduit ses passages aux rayons sucreries et boissons.
Dans les allées de l'hypermarché Carrefour de Villeneuve-la-Garenne, ville plutôt populaire du département riche des Hauts-de-Seine, les chariots de courses s'arrêtent autour de l'ilôt des fruits et légumes à moins de 1 euro et près des têtes de gondole dédiées aux promotions.
Dans les rayons, les petits prix du "défi anti-inflation", proposés par l'enseigne sont mis en valeur pour guider les clients dans leurs achats.
La hausse des prix des produits vendus en grandes surfaces "atteint 16,2% en mars 2023 par rapport à mars 2022. Sur deux ans, l'inflation est de 17,7%", d'après un baromètre de Circana (anciennement IRI) publié mardi dans le média spécialisé dans la distribution LSA.
Alors, pour geler les prix, des consommateurs ont recours à leur congélateur. "J'optimise mes repas. Si à un moment donné il y a une promo sur les poireaux, je vais faire deux ou trois recettes et congeler", explique Pascale Orvain, qui fait les courses pour son fils et elle.
Face aux "prix qui ont terriblement augmenté", cette prévisionniste des ventes s'est mise à faire elle-même son granola et sa confiture.
"Aujourd'hui, les clients sont tentés d'acheter des produits bruts et de les cuisiner (...) ça coûte moins cher. C'est vrai pour les produits d'hygiène également", confirme Stefen Bompais, directeur de la communication client chez Carrefour.
Depuis le début de l'inflation au printemps dernier, les consommateurs dépensent en moyenne autant et "sont devenus des vrais experts des petits prix".
"Les clients font des arbitrages extrêmement pertinents, ce qui leur permet d'acheter le même volume de produits, de dépenser le même budget, sans subir les oscillations de l'inflation", affirme-t-il.
Un arbitrage qui consiste notamment à se tourner vers "les petits prix ou de marque distributeur 20 à 30% moins cher".
- Achats reportés -
Appuyé sur son chariot, lunettes en bout de nez, Medard Louisy, 72 ans barre soigneusement "yaourts" de sa liste de course et entoure ce qui lui manque: "lessive, levure de bière, moutarde, sel et classeurs". Sur son bloc-notes, chaque prix est consigné.
Le sous-total: 51,75 euros. Il s'approche de la barre des 65 euros, son budget hebdomadaire.
"S'il y a un truc un peu cher, je renvoie à la semaine prochaine. Il faut faire avec", explique ce retraité de la fonction publique, qui touche 1.900 euros mensuels. La lessive - il lui en reste un peu - est sur la sellette.
Dans ce contexte d'inflation inédite depuis les années 1980, même les ménages plus aisés se mettent à regarder les prix.
Patrice Diernaz prend un pack de limonade et se tourne vers sa compagne. Yeux rivés sur son smartphone, Eliane Brossault s'apprête à lui donner l'ancien prix du pack, répertorié dans une application lors de leurs précédentes courses. Si ça a trop augmenté, il le reposera.
"Jusqu'à maintenant, on ne faisait pas attention aux prix, on prenait ce dont on avait envie sans regarder l'étiquette", témoigne le retraité.
Maintenant, "on va chez Lidl, Intermarché, on essaie de trouver les produits équivalents moins chers". Et pour la viande, les fruits et les légumes, direction le marché. "C'est plus facile sur le marché de diminuer la quantité qu'ici".
En dehors de l'alimentaire, où les petits plaisirs sont sacrifiés, d'autres concessions sont nécessaires.
Inès Filali, amie de Saïda Chabani, a dû rogner sur "tout ce qui est esthétique". "Avant j'allais plus souvent chez le coiffeur", témoigne l'élégante CPE (conseillère principale d'éducation) de 26 ans.
Son salaire net de 1.700 euros lui permettait de "suivre le rythme avant l'inflation". "Mais là, ça suit plus".