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Les habitants de Zaporijjia dans le Sud de l'Ukraine ont bravé la pluie battante pour se rendre sur les rives du Dniepr, non pas comme autrefois pour se détendre dans des bars et stations balnéaires mais pour contempler une mer de boue.
La destruction la semaine dernière du barrage de Kakhovka, pour laquelle Moscou et Kiev se rejettent la responsabilité, a provoqué des inondations en aval du fleuve, qui ont fait plus d'une dizaine de morts et poussé des milliers d'habitants à quitter leurs logements.
En amont du Dniepr, le niveau a lui, à l'inverse, chuté. Dans la capitale régionale de Zaporijjia, une plage de sable a cédé la place à une vasière nauséabonde.
Malgré la dévastation, le bord de la rivière reste un lieu de contemplation paisible pour certains. Andriï Vlassenko, 32 ans, se promène seul en balayant la boue avec son détecteur de métaux.
Il y a un an, Andriï, sa femme et son enfant ont fui les territoires occupés par la Russie plus au sud et il n'a pas encore été en mesure de trouver un travail.
Il y a cinq mois, son père, âgé de 63 ans, a été tué par des tirs d'obus dans son village natal.
Pour lui, le lit de la rivière nouvellement mis à nu est l'occasion d'oublier sa douleur et de s'adonner à son paisible passe-temps.
"Je suis peut-être venu pour trouver quelque chose. En tout cas, en cherchant, mon âme se repose", explique-t-il.
Son butin de la matinée reste maigre : pas d'or ni d'argent, mais une pièce de monnaie ukrainienne et un kopeck de l'époque soviétique.
- Plus de fleuve -
Avant la guerre, les habitants de Zaporijjia avaient accès à des stations balnéaires sur la côte de la mer d'Azov, aujourd'hui occupée par les forces russes et par conséquent totalement inaccessible.
Aujourd'hui, avec le retrait du Dniepr, même les petites stations familiales situées dans les forêts au sud de la ville ne donnent plus sur des rives sablonneuses mais sur de la vase visqueuse.
Iouriï Kara, un informaticien de 39 ans, s'abrite de la pluie sous le hayon de sa voiture en sirotant un café et contemplant la scène.
"J'étais là le premier jour, quand l'eau a commencé à baisser. Le 9 juin, l'eau était plus proche. Elle baisse tous les jours", constate-il, alors qu'un oiseau de mer vient chasser dans les bas-fonds.
"J'en discutais avec mon ami : bientôt, il n'y aura plus de fleuve Dniepr pour nous", dit-il amèrement.
Les avis divergent quant à l'ampleur de la disparition du fleuve. Mais Guennady, ouvrier sidérurgiste à la retraite, en caleçon et marchant dans l'eau jusqu'aux genoux sous une grande jetée, a la réponse.
En pointant du doigt les marques de marée sur la pile de pierre qui le surplombe, il fait son estimation.
"Le niveau de l'eau était donc de... Comment puis-je vous montrer ? C'était là-haut, regardez, vous voyez cette brique ? C'était jusqu'à la plus haute, trois mètres", explique-t-il à l'AFP.
La destruction du barrage de Kakhovka a rappelé aux habitants de Zaporijjia que même si les troupes russes ne sont pas parvenues jusqu'à la ville la guerre peut toujours les atteindre. C'est à proximité d'ailleurs que les forces ukrainiennes sont à l'offensive.
Anna La?houna, 28 ans, employée d'une société de téléphonie mobile, et ses soeurs ont fui en juin les territoires occupés et craignent pour leur grand-mère âgée, qu'elles ont laissée derrière elles.
"Personne ne pensait qu'ils pouvaient faire quelque chose comme ça", lance-t-elle, en accusant les Russes de la catastrophe avec la destruction du barrage.
"Nous ne savons pas à quoi nous attendre de leur part. La situation pourrait empirer", ajoute-t-elle. "J'espère que cela prendra fin le plus tôt possible."