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"Nous sommes considérés comme des citoyens grecs de seconde classe !": sur l’île reculée de Karpathos, dans le sud de la mer Égée, l'indignation gronde face à un Etat jugé absent, avant les élections de dimanche.
Très loin des joutes politiques en cours à Athènes, les habitants de deux villages du nord de cette île de l'archipel du Dodécanèse, Diafani et Olympos, sont inquiets. Cet été, l’école primaire qui accueille actuellement deux élèves pourrait définitivement fermer ses portes.
"Nous sommes indignés! Sans médecin qui reste plus d’un an, sans pharmacie, et bientôt sans école... Nous sommes considérés comme des citoyens grecs de seconde classe !", tempête Manolis Melaisis, un marin à la retraite.
Dans le café de sa cousine trône une photo en noir et blanc de sa classe en 1961. A l'époque, ils étaient une soixantaine d’écoliers.
L'île de Karpathos, qui compte 6.500 habitants, est située entre la Crète et Rhodes. Pour rejoindre Athènes en bateau, il faut plus de 15 heures. Et la liaison n’est assurée que deux fois par semaine.
Ici, on vit surtout de l’agriculture et, quand les beaux jours reviennent, du tourisme.
- Ni banque, ni poste -
A Diafani, il n’y a ni banque, ni pharmacie, ni poste, ni même une station essence. Depuis la capitale de l’île, Pigadia, la route construite dans les années 80 est sinueuse, souvent encombrée de pierres, peu éclairée.
Chaque matin à 08h30, le bus dépose à Diafani, Vassilis, 11 ans, et Marinos, 8 ans, qui habitent Olympos. Leur enseignante, Theodora Koukourikou, les attend pour les emmener jusqu’à leur établissement perché sur les hauteurs du village, face à la mer.
"Ces écoles dans les îles isolées sont un souffle de vie pour les petites communautés. Une fois fermées, il ne restera rien de Diafani ou d’Olympos... Ce sera juste une destination pour les touristes l'été!", se désole la jeune femme de 27 ans, nommée en septembre.
A la rentrée prochaine, Vassilis ira au collège à Olympos et rejoindra les huit élèves qui y sont scolarisés. Marinos pourrait faire de même malgré son jeune âge.
Accroché à un flanc de colline, Olympos, avec ses moulins à vent, ses maisonnettes couleurs pastel et ses chapelles, a su, jusqu’à présent, maintenir vivants son artisanat, son dialecte et sa musique.
"Mais pour combien de temps?", s’interroge dans son café Sofia Chatzipapa, qui porte l'habit traditionnel: un tablier fleuri, une longue blouse noire brodée et un fichu sur la tête.
Sur son comptoir sont accrochés les dépliants des candidats aux élections. La septuagénaire grimace.
"Députés, Premier ministre, présidente, ils sont tous passés par ici en admirant notre beau village", ironise-t-elle. "Ils se prennent en photo. Puis une fois à Athènes, ils nous oublient, nous et nos problèmes..."
Pour certains habitants, c'est tout l'avenir des villages isolés qui est en question. Diafani et Olympos ne comptent plus que 500 habitants, contre 1.250 en 1961.
"Dans les années 1960, la plupart des habitants sont partis travailler à l’étranger, et peu sont revenus", dénonce Yannis Hatzivassilis.
"Les jeunes générations qui aspirent à un mode de vie plus confortable continuent de partir. La désertification de nos villages est une plaie ouverte qu'aucun gouvernement n’a réussi à refermer!", explique-t-il.
- Beau pays -
Avec son père, il a sculpté la façade de l’école de bas reliefs évoquant des scènes mythologiques. "On a un beau pays mais pas les dirigeants qu'il mérite", confie-t-il, ému.
Cachée derrière ses fourneaux dans la taverne qu’elle tient à Olympos, Marina Lentakis, la mère du petit Vassilis, s’inquiète: "si l’école primaire ferme (...) cela accentuera le départ de toutes les familles alors même qu’il y a encore quelques enfants en bas âge".
Yannis Prearis a un fils d'à peine deux ans, mais il sait déjà que si l’école ferme, il sera obligé de quitter Olympos.
Il est le dernier cordonnier à fabriquer les bottes en cuir faisant partie du costume traditionnel des femmes d'Olympos.
"Nous réclamons un médecin, une école, des routes sûres, des transports publics, des services basiques que tout État devrait fournir à tous les citoyens", plaide-t-il.
L'artisan voudrait rester à Olympos: "Mon grand-père puis mon père faisaient ce métier. Si je pars, c’est tout un artisanat qui va disparaître".