Partager:
Entre "trahison" et "incompréhension", la critique est certes graduée, mais le ministre du travail Olivier Dussopt n'a pas été épargné mardi, dans sa ville ouvrière d'Annonay (Ardèche), par les manifestants hostiles à son projet de réforme des retraites.
Le ton est donné avant même le départ du cortège de la gare routière, lorsque les responsables syndicaux se succèdent, sous la pluie.
"Même si la loi est votée, nous renverrons Olivier Dussopt travailler en 3X8", lance au micro - défaillant - Raphaël Foïs, secrétaire de l'Union locale CGT.
"Olivier? Olivier? Olivier, t'es où? Faut arrêter Olivier, les Français n'en peuvent plus de tes bobards, arrête de t'entêter!", reprend Pierre Milloud, co-secrétaire de la FSU-Snuipp de l'Ardèche, très applaudi, comme le responsable FO qui s'en prend à la "girouette Dussopt".
Une allusion au parcours politique récent du ministre: longtemps membre du PS, proche de son aile gauche, il rallie le gouvernement d'Edouard Philippe en 2017 comme secrétaire d'Etat puis devient ministre du Travail d'Elisabeth Borne.
Ce qui lui vaut des mots durs: "Dussopt socialiste un jour, traître toujours", accuse la banderole d'ouverture déployée par la CGT.
Dans cette ville de 16.000 habitants, fief industriel où le principal employeur privé est le constructeur d'autobus Iveco (1.300 salariés), la CGT est le grand ordonnateur de la manifestation.
Ses troupes occupent les premières loges, gèrent la sono et lancent "Je retourne ma veste" de Dutronc. Bref, c'est "la fête à Dussopt", comme l'indique le tract de l'événement, et l'ancien maire aura même un feu d'artifice dédié à la sortie du viaduc qui enjambe la Déôme, peu après l'usine Iveco.
Venus en autocars spécialement, les militant CGT des centrales nucléaires de Cruas (Ardèche) et Saint-Alban (Isère) ont leur camion-podium dédié. On y rejoue "Santiano", avec comme refrain: "Olivier t'as déconné, trahis par l'enfant du pays, nous ferons tomber la Macronie".
"Il a oublié qu'il venait d'une famille ouvrière. Et que sa ville est une ville ouvrière avant tout... J'ai mal partout, des lumbagos, des rendez-vous chez l'ostéo. Je ne me vois pas du tout continuer comme ça jusqu'à 64 ans", insiste Delphine Pascal, 43 ans, conductrice des chariots élévateurs chez l'équipementier automobile et camions STS Composites à Saint-Désirat, à une douzaine de kilomètres.
- "En travers de la gorge" -
"J'ai 55 ans et je suis déjà fatigué au boulot. Je n'imagine pas aller jusqu'à 64 ans. En 2010, Dussopt était pour la retraite à 60 ans. Il n'est plus socialiste aujourd'hui" et ceux dont il se réclamait "doivent se retourner dans leurs tombes", dit aussi Bruno Mouret, infirmier urgentiste à l'hôpital d'Annonay.
Certains, parmi les 12.000 manifestants selon la CGT - record battu d'après le syndicat -, ou 5.500 selon la préfecture, ont la dent moins dure contre "l'homme Dussopt", même s'ils combattent vigoureusement la réforme.
"On n'attaque pas les personnes, ce n'est pas dans notre ADN. Les mots ont un sens, on n'est pas le lynchage médiatique", explique ainsi Gérard Janvier, du bureau local de la CFDT. Mais il reconnaît le "malaise" et "l'incompréhension" que peut susciter parmi les militants Olivier Dussopt, "une personnalité qui a tant oeuvré pour ce territoire et se retrouve dans un gouvernement participant à une telle régression sociale".
D'anciens compagnons de route du PS, comme Gilles Morin, doivent aussi apprendre à composer. "Olivier est un ami et on est toujours plus déçu quand on aime quelqu'un. Cette réforme ne lui ressemble pas, parce que je sais qu'il a des idées profondément à gauche". A ses côtés, derrière la banderole Nupes, Frédérique Lagier, coanimatrice du groupe "Annonay insoumise", refuse également la "personnalisation du combat", ce qui n'empêche pas de constater que "beaucoup l'ont en travers de la gorge ici".