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Activité hautement controversée, la chasse aux phoques déchaîne les passions. Des Québécois des îles de la Madeleine, dans le golfe du Saint-Laurent, rêvent pourtant de la réhabiliter, soutenus par les pêcheurs qui craignent pour les stocks de poissons.
Dans cet archipel, chasser est possible quasiment toute l'année: l'hiver sur la glace, l'été en bateau.
Installé à la barre de son zodiac, Yoanis Menge, chasseur et photographe, aime rappeler qu'il s'agit d'une pratique ancestrale pour les Madelinots, les habitants des îles, mais aussi pour plusieurs peuples autochtones du Canada dont les Inuits.
Malgré le vent et l'océan agité, sa petite troupe a pris la mer depuis Grosse-Ile, la pointe au nord de l'archipel, accompagnée fin mai par une équipe de l'AFP. Face au bateau, une rangée de phoques installés sur un banc de sable, prend le soleil.
Mais au moindre bruit, ils déguerpissent. Une fois dans l'eau, les atteindre devient bien plus complexe. Seules leurs petites têtes noires dépassent.
C'est finalement sur la plage que les chasseurs parviennent à leurs fins à l'aide d'un fusil. Quelques minutes plus tard, l'animal est directement dépecé sur place.
"Ici on vit avec le phoque, on ne fait pas que le chasser", explique Yoanis Menge.
"Qu'est ce qui a poussé les Etats-Unis ou l'Europe à bannir les produits du phoque? Ce sont des raisons sentimentales. C'est le seul animal boycotté pour des raisons sentimentales", ajoute le quadragénaire qui a passé des années à photographier les chasseurs avant de le devenir à son tour.
- "Assassins" -
Parler de la chasse aux phoques aux îles de la Madeleine, c'est souvent revenir à une image choc. Celle de Brigitte Bardot qui pose à la fin des années 70 sur la banquise, aux côtés de blanchons, ces jeunes phoques âgés d'à peine quelques jours.
Les activistes s'étaient particulièrement opposés à la technique du gourdin, consistant à tuer l'animal en le matraquant à mort.
"On nous a traités de sauvages, de barbares et d'assassins", se souvient Gil Thériault, directeur de l'Association des chasseurs de phoques intra-Québec.
"Ce sont des insultes qui nous ont fait beaucoup de tort. C'était une attaque dirigée contre notre mode de vie", regrette le Madelinot.
Depuis, la chasse aux "loups marins" comme on les appelle ici n'a cessé de décliner. Sur la côte est canadienne, on trouve des phoques gris, du Groenland, communs, barbus, à capuchon et annelés. Mais la chasse commerciale concerne surtout les deux premiers groupes.
Durant les décennies 1950 et 1960, la chasse aux blanchons domine, leur pelage blanc étant très recherché par l'industrie de la mode. Elle est interdite en 1987.
Et petit à petit les portes vont se fermer pour les chasseurs: les Etats-Unis interdisent les produits dérivés du phoque dès 1972.
Et en 2010, l'Union européenne impose un embargo en raison des méthodes de chasse, jugées trop "cruelles", un coup dur pour l'industrie qui perd 30% de sa clientèle.
Aujourd'hui, l'animal est chassé principalement pour sa viande pour une consommation locale et pour quelques restaurants gastronomiques québécois.
Mais certains aimeraient faire davantage connaître cette viande, comme Réjean Vigneau, le boucher de l'île, qui fabrique une quinzaine de produits différents à base de loup marins - saucisses, terrines...
"C'est une viande locale, sans hormones, très riche en fer, maigre, excellente pour la santé", explique le petit homme, qui fait partie des quelques dizaines de chasseurs actifs aujourd'hui, contre plusieurs centaines il y a quelques décennies.
"C'est surprenant que ce soit encore mal vu sur la planète", ajoute-t-il.
- Stock de poissons au plus bas-
Un déclin que les chasseurs rêvent d'inverser aujourd'hui, expliquant que les phoques ont peu de prédateurs et qu'ils menacent désormais les stocks de poissons, principale ressource des Madelinots.
"Dans le Golfe, vu le nombre de phoques gris et leur consommation de morue, de plie, ou hareng - nous avons un problème. Les stocks de poissons ne remontent pas", dénonce Ghislain Cyr, pêcheur.
"Les populations de phoques ont augmenté de façon exponentielle depuis les années 70", confirme Simon Nadeau, spécialiste des mammifères marins pour le ministère canadien des Pêches et Océans. "Mais on ne parle pas de surpopulation."
Le nombre de phoques du Groenland dans l'Atlantique Nord-Ouest a presque quadruplé entre 1970 et 2019 pour atteindre 7,6 millions. Et la population de phoques gris est quant à elle passée de 5.000 individus dans le Golfe du Saint-Laurent à 44.000 en 2017.
A l'inverse, les stocks de poissons de fond du Canada sont à leur niveau le plus bas jamais observé.
Mais pour Simon Nadeau, on ne peut pas lier les deux aussi facilement, notamment car tout l'écosystème a été modifié ces dernières décennies en raison du réchauffement climatique et de la surpêche.
"Les phoques ont pu contribuer au déclin des poissons, mais ils ne sont pas à l'origine de ce déclin", poursuit-il tout en reconnaissant qu'ils font aujourd'hui toutefois partie des facteurs qui empêchent certains stocks de se reconstituer.