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Un voisin de la famille d’Anna a tiré plusieurs coups de feu en pleine nuit sur leur maison. Malgré un appel au 112 la veille, les faits bouleversants n’ont pu être évités. La prise en charge des personnes souffrant de problèmes psychologiques reste très délicate.
Anna et ses parents ont vécu "la pire nuit de leur vie", il y a quelques semaines. Via le bouton orange Alertez-nous, la jeune femme, encore traumatisée, raconte son histoire de manière anonyme, pour éveiller les consciences.
Cette nuit-là, elle est réveillée par une première détonation vers minuit trente. "Je ne comprends pas tout de suite qu’il s’agit d’un coup de feu. Ensuite, il y en a un deuxième, je bondis de mon lit". Avec ses parents, également réveillés, elle descend rapidement vérifier la porte d’entrée. Sa maman crie : "Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ?". C’est alors qu’un troisième coup de feu retentit. "Mon papa a juste eu le temps de dire à ma mère de reculer pour qu’elle évite la troisième balle qui a traversé la porte pour se loger dans le mur juste à côté d’elle". Deux coups de feu sont alors tirés dans la baie vitrée de la cuisine. Heureusement, le double vitrage ne cède pas complètement. Tous les trois se réfugient à l’étage afin d’appeler le 112. "Je tremblais comme jamais, je me demandais qui pouvait s’en prendre à nous de cette manière ? Qu’est-ce qu’on avait fait pour mériter ça ? Et surtout, je me disais que s’ils entraient, nous étions morts".
Si la police n’avait pas été à proximité, peut-être qu’elle aurait fini par trouver un moyen d’entrer
Peu de temps après, la police sonne à leur porte. Elle a été tellement rapide, qu’Anna et ses parents n’osaient pas ouvrir la porte, ils craignaient une ruse.
La famille finit par apprendre que l’auteur des coups de feu est en fait un voisin: "Cette personne a des problèmes psychologiques depuis plusieurs années. Ma maman, avec toute sa bienveillance, a voulu l’aider la veille, lorsqu’elle était en détresse. Le 112 n’a pas jugé nécessaire d’envoyer quelqu’un. Résultat, le lendemain, cette personne a disjoncté, pour on ne sait quelle raison", affirme Anna.
Elle poursuit : "Cette personne a déclaré être simplement venue pour parler à maman. Si nous n’avions pas la porte d’entrée que l’on a depuis quelques mois, elle serait entrée et on ne serait peut-être plus là. Si la police n’avait pas été à proximité, peut-être qu’elle aurait fini par trouver un moyen d’entrer. Nous avons eu de la chance".
"Cette personne pourrait sortir à tout moment"
Anna rapporte que sa famille a reçu un courrier l’informant que l’affaire était classée sans suite. "Le parquet a qualifié les faits de "menaces". Suite à cela, nous avons déposé un recours". "Cette personne pourrait sortir à tout moment de psychiatrie et nous ne sommes même pas sûrs d’en être informé, alors qu’elle habite à 100 mètres de chez nous", note encore Anna, désemparée.
Ce témoignage met en lumière les difficultés liées à la prise en charge des personnes souffrant de problèmes psychologiques et les risques de conséquences potentiellement désastreuses.
Un autre témoignage vient appuyer ce propos, celui d’un pompier ambulancier volontaire. En près de 15 ans, Thomas (nom d’emprunt) relate avoir vécu plusieurs situations compliquées. Il estime que la procédure de prise en charge est complexe et parfois pas adaptée. Un cas en particulier qui s’est déroulé il y a plus de cinq ans lui a laissé un goût amer. Avec ces collègues, il intervient au domicile d’une dame qui menaçait de mettre le feu à sa maison. Comme le veut la procédure, un avis médical est demandé et il est rédigé, en faveur d’un "placement". Malgré cela, le procureur décide de ne pas prendre de mesure. "Une heure après, la maison brûlait. Heureusement, les enfants n’étaient pas à la maison". Ce qui l’amène à s’interroger sur une procédure qu’il juge "complètement incohérente" : "La décision finale appartient à un procureur qui n’est pas formé dans le domaine médical, avec tout ce que ceci peut impliquer".
Parfois, les gens ne sont pas aidés
Il prend également en exemple la récente attaque de deux policiers à Schaerbeek qui s’est soldée par la mort de l’agent Thomas Monjoie. Alors que l’assaillant présumé avait proféré des menaces dans un commissariat le matin même des faits. Pour rappel, l’individu avait été emmené à l’hôpital pour être examiné, mais il avait quitté celui-ci avant de voir un médecin, de son plein gré.
Thomas estime que la procédure "de mise en observation" devrait être simplifiée. Il pointe également le manque de lits en psychiatrie. "Cela crée une frustration, parce que parfois les gens ne sont pas aidés ou finissent par mourir parce qu’ils n’ont pas d’aide". "Heureusement, ce n’est pas la majorité des cas qu’on vit", ajoute-t-il. "On veut aider les gens. Je garde le moral, l’envie de continuer, sinon il y a bien longtemps que j’aurais arrêté. J’ose espérer que cela va changer", conclut-il.
Que dit la loi ?
La loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux règle la procédure de mise en observation dans un service psychiatrique.
Trois conditions doivent être remplies : la personne doit souffrir d’une maladie mentale, elle doit représenter un danger pour elle-même ou pour autrui et il ne peut y avoir d’autre alternative de prise en charge.
Quand la situation n’est pas urgente, la décision revient au juge de paix. Une requête, accompagnée d’un certificat médical circonstancié, peut être introduite par toute personne intéressée. Le juge l’examine lors d’une audience qu’il fixe endéans les 10 jours. Il a ensuite trois jours pour notifier sa décision : une mise en observation éventuelle de 40 jours dans un service psychiatrique. La personne concernée peut faire appel de la mesure, dans les 15 jours. Après 40 jours, il y a la possibilité de prolonger la mesure pour une durée maximale de deux ans (pas forcément à l’hôpital, il peut y avoir un suivi thérapeutique en dehors de la structure hospitalière).
Quand la situation est urgente, la requête est adressée au Procureur du roi. Celui-ci désigne alors un service psychiatrique agréé qui recevra la personne dans l’attente de l’audience.
Parfois, ce sont les services de police qui informent le Procureur du roi de l’interpellation d’une personne qui pourrait être mise en observation.
Dans la pratique, il y a plus de 80% de procédures urgentes, explique l’avocat Gilles Oliviers. Celles-ci ont pris le pas sur la procédure normale, via le Juge de paix.
L’homme de loi précise encore que : "juridiquement, le procureur du Roi n’est pas tenu de suivre l’avis du médecin. Il a le choix de ses actions". Même si, "dans les faits, il est très rare qu’il ne suive pas cet avis. Ce n’est pas le seul élément à entrer en considération. Il faut qu’il puisse considérer que cet avis n’est pas suffisant, vu les autres conditions".
Les praticiens examinent rapidement les personnes
Le système forcément n’est pas infaillible. Selon l’avocat, "il arrive assez souvent que le médecin désigné conclue qu’il n’y a pas de danger immédiat. Les praticiens examinent rapidement les personnes et se retrouvent à devoir juger de leur état et de leur éventuel enfermement, sans avoir tous les éléments. Les patients ne sont pas dans leur contexte, ils sont hors du désordre chez eux. Et certains, savent comment manipuler la médecine".
Il rappelle aussi que pour décider d’une mise en observation urgente ou non, il faut que toutes les conditions soient remplies : "Il faut une maladie mentale : l’alcoolisme ou l’addiction à la drogue par exemple sont exclus. Il faut qu’elle soit décompensée, c’est-à-dire que le malade doit être en crise. Il faut qu’il y ait une dangerosité pour la personne ou pour autrui. Et il faut que le malade refuse de se soigner volontairement, et donc qu’il n’y ait pas d’autre alternative". Et dans le cas d’une procédure urgente, il faut qu’il y ait urgence à intervenir tout de suite, pas de possibilité d’attendre le jugement du juge de paix.
Vers une modification de la loi ?
L’avocat rappelle également que la privation de liberté est "une mesure extrême", c’est pourquoi il y a autant de balises. Et en matière de maladie mentale, "il y a toujours un risque, c’est ça la difficulté".
Selon un rapport du SPF Santé publique, le nombre d’admissions dans les services psychiatriques en Belgique a augmenté de 39,2 % entre 2011 et 2020, ce qui équivaut à une hausse de 4,36 % par an. Et le nombre de places dans les services spécialisés est forcément limité. "Parfois, l’hôpital est contraint de faire des choix", confirme l’avocat.
Notre vie ne sera plus jamais la même
Le praticien estime, comme nos témoins, qu’il faudrait idéalement "plus de sécurité dans ces décisions" de mise en observation. Pour améliorer la prise en charge des personnes souffrant de maladie mentale, une task force a d’ailleurs été mise sur pied, il y a un plus d’un an et demi. Gilles Oliviers en faisait partie. Pour lui, "l’examen médical reste l’élément-clé". Et jusqu’ici le médecin n’avait pas forcément le temps d’avoir une interaction suffisante avec le patient.
Une période d'évaluation plus longue
Ce groupe de travail a donc proposé d’instaurer un période d’évaluation clinique (de 48h maximum). L’avocat précise qu’il s’agit "d’une sorte de détention" et que cela "nécessite une modification de la loi".
Un avant-projet de loi doit d’ailleurs être étudié par le gouvernement au début de cette année, nous a confirmé le cabinet du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne.
Le ministre a précisé l’objectif de cette modification législative, dans une réponse à une question parlementaire : "Le but est notamment de veiller à ce que le parquet soit mieux informé au moment où il est saisi, cela grâce à une mise en observation préalable de 24 à 48 heures avec un rapport médical circonstancié qui donnera les informations nécessaires sur la dangerosité de la personne concernée. Le parquet pourra donc mieux évaluer la situation avant de prendre une décision", a-t-il indiqué.
En attendant, Anna reste très marquée par ce qu’elle a vécu : "Notre vie ne sera plus jamais la même, il va nous falloir énormément de temps pour nous sentir en sécurité chez nous. Je ne sais même pas si on y arrivera totalement. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut compter que sur nous, sur notre famille et qu’on a eu de la chance".