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Élevée dans un hiver permanent, Tessa Worley (33 ans) a mis un terme à une carrière exceptionnelle marquée par deux titres de championne du monde (2013 et 2017) dimanche à Soldeu (Andorre), laissant un vide en équipe de France.
À l'autre bout du monde, Mount Lyford, un minuscule village perdu au nord de l'île du sud de la Nouvelle-Zélande, à deux heures de route de Christchurch et du premier hôpital. Il y a une trentaine d'années, une Française et un Australien créent les remontées mécaniques et l'école de ski de la station où ils habitent six mois par an, pendant l'hiver, avec leurs deux enfants, dont une petite blonde très douée pour la glisse.
"Mount Lyford, c'était vraiment l'aventure, sourit Tessa Worley. La station était au milieu de nulle part, très sauvage. Et on n'habitait même pas au village mais dans une maison complètement isolée, qu'on atteignait après une demi-heure de 4X4 sur des routes caillouteuses. J'ai apprécié cette vie perdue dans la nature, monter à la station, partir au ski, aller à la petite école et ses trois classes."
Avec sa famille, Tessa, née le 4 octobre 1989 à Annemasse, traverse le globe tous les six mois entre la Nouvelle-Zélande et la Haute-Savoie, pour vivre dans un hiver sans fin.
"Cette éducation a forgé mon caractère, estime Worley. Voyager, s'adapter, on déménageait tout un bazar tous les six mois. Avoir différents repères, me sentir bien à plusieurs endroits, je suis à l'aise avec ça."
- Plus de 17 ans sur le circuit -
Sans le savoir, la jeune fille prépare son avenir sur le circuit de Coupe du monde de ski alpin, la valise toujours prête, entre deux hôtels, en voiture ou dans les halls d'aéroport.
Sortie de la petite enfance, Worley suit sa mère et s'installe définitivement en France. Elle rejoint la fédération et le haut niveau à 15 ans à Albertville. Avec ses amies Taïna Barioz, Anémone Marmottan, plus tard Nastasia Noens, elle forme une joyeuse bande.
La championne éclot rapidement en Coupe du monde, gagne une première fois à Aspen (États-Unis) en novembre 2008, à seulement 19 ans et s'installe parmi les meilleures, un cercle qu'elle n'a jamais quittée, avec 16 victoires sur le circuit en plus de ses deux titres mondiaux.
À 33 ans, sa carrière fait figure d'exception: aucune autre skieuse n'a eu sa longévité, plus de 17 ans sur le circuit mondial, alors que les carrières de la plupart des championnes s'arrêtent tôt.
Au carrefour des générations, Worley a skié contre les légendes Tina Maze, Lindsey Vonn et Anna Fenninger avant d'être opposée pendant des années à Viktoria Rebensburg et Lara Gut-Behrami, jusqu'à la meilleure skieuse de l'histoire Mikaela Shiffrin.
- Fin d'une époque -
Après ses débuts en fanfare, sa trajectoire aura été météorique jusqu'à décembre 2013, quelques mois après son premier titre mondial, où une grave blessure au genou droit à Courchevel l'avait privée des Jeux olympiques de Sotchi l'année suivante.
D'autres blessures, moins graves, ont émaillé son parcours, mais la blonde aux yeux bleus est revenue de chaque difficulté avec une rage de vaincre difficile à déceler dans la douceur de ses apparitions publiques.
Depuis plusieurs saisons, Worley était quasiment la seule skieuse française à jouer les victoires régulièrement, une pression qu'elle a toujours parfaitement assumée, alors que ses coéquipières Coralie Frasse-Sombet et Nastasia Noens arrêtent aussi, en plus des adieux chez les hommes d'une autre figure, Johan Clarey.
Au moment de partir, la question de sa succession se pose, alors qu'une nouvelle génération pointe doucement le bout de ses spatules, notamment menée par Marie Lamure.
Pendant toutes ces années effrénées sur les pentes glacées, jamais Tessa Worley n'a revu le Mount Lyford. "Après ma carrière, j'y retournerai, c'est sûr", avait-elle promis à l'AFP en 2021.
Il est l'heure, pour redécouvrir ses racines, profondément ancrées dans la neige.