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Quand il ne buvait pas, "c'était une crème". "Les enfants l'adoraient, il jouait au foot avec eux, leur faisait des gâteaux...", témoigne Maeva qui a subi huit années de violences de la part de son compagnon alcoolique.
"Il a essayé d'arrêter l'alcool, puis recommençait, c'était sans fin", dit à l'AFP cette femme de 59 ans, dont le prénom a été modifié.
L'alcool est "le grand absent" du Grenelle contre les violences conjugales déplorent un Collectif de proches de malades alcooliques (CoPMA) et des spécialistes de l'addiction en réclamant des mesures de prévention et de prise en charge, lundi dans deux lettres ouvertes au gouvernement.
"L'alcool est facteur causal majeur de violences envers les femmes", relèvent les signataires qui estiment qu'il altère les capacités d'autocontrôle, accroît l'impulsivité, l'agressivité et diminue également les capacités de défense des victimes
L'analyse des morts violentes au sein du couple survenues en 2018 et plus particulièrement des 121 féminicides, publiée par la délégation d'aide aux victimes, montre que dans 55% des cas au moins l'un des deux, auteur ou victime, est sous l'emprise d'une substance (alcool, stupéfiants, etc.).
Maeva décrit ce qu'elle a vécu quand l'alcool s'invite: son compagnon, "adorable quand il ne buvait pas", peut alors jeter le lit par la fenêtre, casser l'ordinateur, la mettre à la porte la nuit, l'obligeant à dormir dans la voiture.
Un jour, il déboule furieux à son travail en exigeant qu'elle sorte du bureau. Seules les fenêtres blindées l'arrêtent... Plainte est déposée.
La police, "des gens bien" venait régulièrement, continue Maeva. "Parfois, il était mis en cellule de dégrisement pour que je puisse dormir."
"Les amis me disaient: +quitte-le, tu vaux mieux que ça+. Mais je n'en avais pas envie (...) Les amis vous quittent; la famille vous tourne le dos. Je me suis sentie abandonnée", raconte-t-elle, évoquant la dépression de son compagnon, les mélanges alcool-médicaments.
- Obligation de soins -
"Une fois, il m'a attrapée à la gorge. Là je me suis dit je vais mourir. Je lui ai dit +je t'aime+, sa main s'est desserrée; je me suis enfuie".
Puis, il n'a plus eu le droit de s'approcher de chez elle, mais elle a gardé le contact. Il finira par se suicider.
Dans leur courrier aux autorités, les experts citent une étude qui a montré, d'après les journaux tenus pendant quinze mois par des femmes ayant déjà subi des violences, que le risque d'agression physique était multiplié par huit les jours où l'homme buvait.
"Chez les femmes vivant en couple avec un consommateur dépendant, le risque de subir des violences est trois fois plus important que dans la population générale", explique l'un des signataires, le Pr Michel Reynaud, président du Fonds Actions Addictions, sur la base d'une synthèse d'études portant sur 80.000 personnes.
S'il n'est pas le seul facteur en cause dans ces drames, c'est un élément très fréquent, "massif", et "surtout évitable" sur lesquels les pouvoirs publics peuvent agir, ajoute ce médecin.
Les associations réclament l'application d'une obligation de soins par la justice, un plan de soutien aux proches aidants de malades alcooliques ainsi qu'une campagne nationale d'information sur les répercussions de la maladie alcoolique sur l'entourage.
La création d'un registre des violences liées à l'alcool et aux psychotropes (avec leurs dosages systématiques) et l'analyse précise du rôle de ces consommations dans les féminicides sont préconisées pour mieux cerner l'ampleur du phénomène.
Les spécialistes demandent aussi le renforcement d'actions contre l'abus d'alcool qui ont fait leurs preuves.
Par exemple, en Australie, une réduction d'une heure et trente minutes d'ouverture des bars le soir s'est accompagnée d'une diminution de plus d'un tiers des violences de tous types, relève le Pr Laurent Bègue, expert psycho-sociologue.
Une autre étude au Brésil indique une baisse de 44% des homicides après l'instauration d'une heure de fermeture à 23h des lieux de vente d'alcool à emporter.