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Dans la nuit du 26 au 27 août 1975, Haïlé Sélassié s’éteint dans des circonstances troubles à Addis-Abeba. Cinquante ans plus tard, son souvenir continue de susciter le débat, entre admiration pour le bâtisseur de l’Éthiopie moderne et critiques d’un règne autoritaire.

Couronné en 1930, celui que l’on surnommait le « Vieux lion d’Abyssinie » incarne encore l’image d’un monarque à la fois mythique et controversé.
Un couronnement démesuré
Le 2 novembre 1930, l’Éthiopie fait une entrée remarquée sur la scène internationale. Le couronnement d’Haïlé Sélassié se déroule dans un faste spectaculaire : « Six jours de cérémonies, des dignitaires venus du monde entier, des centaines de milliers de spectateurs et un vrai trône en or massif », raconte Thomas de Bergeyck. Le message est clair : l’empire veut affirmer sa modernité et sa souveraineté.
Cet événement grandiose marque le début d’un règne de 44 ans, le plus long de l’histoire impériale éthiopienne. Et l’homme au centre de cette mise en scène n’est pas là pour faire de la figuration. Visionnaire, Haïlé Sélassié dote son pays d’une constitution, crée un système éducatif, une police, et ouvre l’Éthiopie sur le monde. Il devient aussi une figure centrale du panafricanisme. Si le siège de l’Union africaine se trouve encore aujourd’hui à Addis-Abeba, ce n’est pas un hasard.
Un empereur devenu prophète
Haïlé Sélassié ne s’est pas contenté de marquer la politique : il a aussi laissé une empreinte spirituelle inattendue. En Jamaïque, il est vénéré comme un messie par les adeptes du rastafarisme, un mouvement religieux qui tire son nom de Ras Tafari, son titre avant le couronnement. Pour eux, il serait un descendant direct du roi Salomon et de la reine de Saba, et incarne une figure divine. « Peu de leaders peuvent se targuer d’avoir créé une religion », souligne Thomas de Bergeyck.
Né dans les années 1930, ce culte prend une ampleur spectaculaire en 1966, lors de la visite de l’empereur en Jamaïque. Des milliers de fidèles l’attendent comme un prophète. « Bob Marley lui-même lui rendra hommage dans ses chansons », ajoute le spécialiste des monarchies.
Une fin tragique
Le conte de fées impérial prend fin le 12 septembre 1974. Affaibli, Haïlé Sélassié est escorté hors de son palais par une junte militaire marxiste. Un an plus tard, dans la nuit du 26 au 27 août 1975, il est assassiné. « Il a probablement été étouffé avec un oreiller imbibé d’éther », confie Thomas de Bergeyck.
Cette mort brutale met un point final à un règne qui avait profondément transformé l’Éthiopie, mais dont la fin a été marquée par un décalage croissant avec la réalité du peuple. Le pays est alors frappé par une famine dévastatrice, qui aurait fait jusqu’à 200.000 morts. Une catastrophe largement sous-estimée par l’empereur, et qui accélérera sa chute.
« On a anéanti le grand modernisateur de l’Éthiopie, parce qu’avant lui, il n’y avait ni constitution, ni police, ni système éducatif structuré. Il a ouvert son pays sur le monde. Il a même défendu l’idée d’une Afrique unie. C’est grâce à cet empereur Sélassié que l’Union africaine a son siège à Addis-Abeba », rappelle Thomas de Bergeyck.
Aujourd’hui, Haïlé Sélassié repose dans la cathédrale de la Sainte-Trinité, à Addis-Abeba. Ses portraits y sont toujours visibles. « C’est tout le paradoxe », conclut Thomas de Bergeyck. « Haïlé Sélassié, c’est à la fois un souverain mythique, un saint pour certains, mais un autocrate contesté pour d’autres. Le vieux lion d’Abyssinie, qu’on l’appelle, rugit encore, mais uniquement dans la mémoire des hommes qui l’ont vraiment adulé. »
Retrouvez « L’histoire royale » de Thomas de Bergeyck chaque samedi sur bel RTL Weekend.














