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Décryptage – Les prisons belges vont mal et ça ne date pas d'hier: surpopulation, manque de personnel… comment l'expliquer?

Les prisons belges font face à un problème de surpopulation carcérale. Pourtant, le nombre de places disponibles a augmenté en 1 an. Malgré cette capacité supplémentaire, les établissements pénitentiaires du pays explosent. On parle de 15% de surpopulation au niveau national, d'après les derniers chiffres du SPF Justice. Mais comment l'expliquer? Est-ce nouveau? Explications. 

Ce mardi, le personnel de la prison de Lantin était en grève pour protester contre la surpopulation carcérale. En janvier, les prisons du pays avaient déjà été touchées par une grève de 24 heures. Et depuis, les actions se succèdent, avec un seul but: dénoncer la surpopulation dans les prisons du pays, mais aussi le manque de personnel.

Aujourd'hui en Belgique, il y a 12.316 détenus pour un total de 10.743 places, soit un taux de 15% de surpopulation carcérale au niveau national, d'après les derniers chiffres du SPF Justice publiés ce 1er mars. Malgré l'ajout de 280 lits d'urgence, au 1er mars 2024, 250 détenus dormaient toujours sur des matelas à même le sol. Un an plus tôt, au 1er mars 2023, on dénombrait 11.402 détenus pour 9.755 places, soit une surpopulation de près de 17%.

Notre pays est d'ailleurs le 4e d'Europe où la surpopulation carcérale est la plus importante. Pourtant, la délinquance n'est pas en augmentation. Comment expliquer cette surpopulation et cette hausse du nombre de détenus? Est-ce un phénomène nouveau? 

La surpopulation carcérale: un phénomène qui ne date pas d'hier

La Belgique compte 38 prisons réparties sur tout le pays. Mais aucune d'elles n'est épargnée par la surpopulation carcérale puisque ce phénomène touche tous les établissements pénitentiaires du pays, sans exception. Déjà en 2019, la prison de St Gilles à Bruxelles comptait 900 détenus pour 500 places. Un phénomène qui n'est donc pas nouveau. 

"Il y a toujours eu ce problème de surpopulation, mais on atteint un niveau historique", explique Didier Breulheid, délégué permanent CSC pour les établissements pénitentiaires. Et les prisons, c'est un sujet qu'il connaît bien puisqu'il a commencé à travailler à la prison de Lantin en 1995. "Aujourd'hui, la surpopulation est historique. Les places ne sont pas suffisantes pour absorber cette surpopulation. À Lantin, on est à 20%", dénonce-t-il. 

On a un système qui ne fonctionne pas

Fin 2023, la Cour d'appel de Liège ordonnait même à l'État de mettre fin à la surpopulation dans les prisons, sous peine d'astreintes. Des astreintes qui s'élèvent déjà à 2.700.000 euros et que l’État belge doit à l'Ordre des barreaux francophones et germanophone de Belgique, Avocats.be. Les premières actions en justice d'Avocats.be contre l’Etat pour dénoncer les prisons qui explosent auront bientôt dix ans.

L’Etat belge est donc en discussion avec Avocats.be pour chercher des solutions à la crise pénitentiaire. Une nouvelle réunion est prévue le 11 mars 2024. 

A quoi est due la surpopulation carcérale dans notre pays? 

Aujourd'hui, "la surpopulation carcérale est immense", dénonce Pierre Sculier, président d'Avocats.be. "Il y a un problème général des prisons, qui a été aggravé par la mesure sur les courtes peines qui doivent être exécutées. Sauf qu'on n'a pas suffisamment de places", ajoute-t-il. Cette hypersaturation dans les prisons a, en effet, été accentuée par la volonté du fédéral de mettre fin au bracelet électronique pour les courtes peines.

Dans le passé, les détenus qui devaient purger une peine inférieure à 3 ans la prestaient sous le régime du bracelet électronique. Ils n’encombraient donc pas les prisons. Mais la volonté du ministre fédéral est que ces courtes peines soient désormais purgées au sein d’un établissement pénitentiaire. Depuis le 1er septembre 2022, c’est le cas pour les peines de 2 à 3 ans. Et depuis le 1er septembre 2023, c'est aussi le cas pour celles comprises entre 6 mois à 2 ans. À l'époque, les directeurs de prison avaient fait part de leurs inquiétudes en matière de surpopulation carcérale. 

Les détenus ne sont pas détenus dans des conditions humaines

"Le gouvernement actuel a décidé de mettre en place la loi d'application des courtes peines, donc on a beaucoup plus de détenus dans nos prisons qui n'y étaient pas avant", explique Didier Breulheid, délégué permanent à la CSC. "Parallèlement à cette loi, il devait y avoir 15 maisons de détention", à savoir des établissements de petite taille où les condamnés à courte peine purgent leur peine. Aujourd'hui, on en dénombre seulement deux dans notre pays, une à Courtrai et l'autre à Forest. 

Comment cette surpopulation se ressent dans le quotidien des détenus? 

"Il n’y a pas de politique pénitentiaire bien définie, et c'est sans doute une des causes du problème. Il faut des solutions généralisées. C’est urgent! On a un système qui ne fonctionne pas", dénonce Pierre Sculier, président d'Avocats.be. Car, qui dit surpopulation carcérale, dit forcément conditions de détention détériorées pour les détenus. 

"Il y a un problème de promiscuité puisqu'on met minimum 2 détenus par cellule de 9m². Il y a beaucoup plus d'agressions entre eux, mais aussi envers le personnel", explique Didier Breulheid. Un chiffre qui peut monter à 5 détenus par cellule. Ce qui implique de nombreux problèmes: "Ce sont des situations anormales! Il y a aussi le problème des toilettes sans paravent pour protéger l'intimité, ce qui entraîne des problèmes intestinaux ou même de constipation", ajoute Pierre Sculier. 

Mais cette surpopulation entraîne aussi des risques sanitaires pour les détenus: "Il y a aussi plus de maladies: gale, tuberculose, etc. Les risques sanitaires sont là. Même au niveau hygiène, c'est plus compliqué à gérer", précise Didier Breulheid. Durant les fortes chaleurs, l'aération n'est pas suffisante, "et c'est problématique". De nombreuses prisons du pays développent ainsi des soucis de salubrité: champignons, moisissures, humidité... 

Une situation qui, encore une fois, ne date pas d'hier. En 2017, un rapport de l’Observatoire international des prisons sur les conditions de vie des détenus, tirait la sonnette d'alarme: "Dans les anciennes prisons, les conditions de vie sont souvent totalement malsaines. Des détenus se retrouvent à trois par cellule de 9 m2. Le troisième matelas est installé à terre et les draps (lavés seulement une fois par mois) sont noirs de saleté. L’humidité provoque de la moisissure sur les murs et la peinture s’écaille. La toilette n’est pas isolée ou, pire, elle est absente et les prisonniers doivent utiliser un seau hygiénique. À l’absence d’hygiène, s’ajoute donc l’absence d’intimité".

Une situation qui n'a pas beaucoup évolué: "Les détenus ne sont pas détenus dans des conditions humaines... Le matériel se détériore aussi plus vite à cause de cette surpopulation", dénonce Didier Breulheid. Le nombre de suicides dans les prisons belges est ainsi deux fois plus haut que la moyenne européenne. Pour la seule année 2022, 16 détenus se sont donné la mort. 

Et pour le personnel?

Mais les détenus ne sont pas les seuls à subir cette situation, puisque pour le personnel pénitentier, les conditions de travail sont aussi détériorées, explique le délégué permanent CSC pour les prisons: "On n'a pas le temps de s'occuper correctement des détenus. Il y a des complications tout le temps, c'est très difficile à gérer au quotidien, car tout est multiplié par deux". 

En 2016, le ministre de la Justice de l'époque, Koen Geens, avait fait passer une loi qui diminuait le personnel des prisons de 10%, ce qui a été fait pour toutes les prisons du pays. "Aujourd'hui, on manque de personnel. Il y a aussi une difficulté à recruter. La prison de Haren, on ne sait pas la remplir à 100% par manque de moyens humains", précise Didier Breulheid. 

Enfin, cette surpopulation carcérale "multiplie la tension" de manière générale dans la prison. "On dit souvent que la prison est le reflet de la société, tout y est amplifié". Cette hypersaturation provoque une situation humanitaire alarmante pour les détenus et menace aussi la sécurité du personnel.

Que faudrait-il faire pour arranger la situation des prisons belges sur le long terme? 

Mais alors que faudrait-il faire et mettre en place pour arranger la situation des prisons belges? "Revoir la politique qui consiste à faire prester les courtes peines, augmenter les mesures probatoires, augmenter la politique du bracelet électronique qui est une solution alternative. Il faudrait aussi revoir certaines peines qui sont en train d’être purgées, et voir si une libération conditionnelle est possible pour certains détenus", développe Pierre Sculier. 

Didier Breulheid demande lui aussi de réelles actions: "Que le gouvernement s'attaque une fois pour toute à réduire la surpopulation! Il n'y a pas de solution sur le long terme. Hier, il y a eu une réunion avec le cabinet et ce n'est que des mesurettes pour limiter la surpopulation, rien à long terme"

Il dénonce également: "La lutte contre la drogue, c'est le cheval de bataille du gouvernement, et c'est très bien, mais ce sont des incarcérations supplémentaires". La Belgique occupe d'ailleurs la première place du podium européen en ce qui concerne le pourcentage de personnes incarcérées pour des faits liés à la drogue, d'après les derniers chiffres du Conseil de l'Europe. 

"Il y a certaines initiatives, mais les ouvertures de places sont moindres par rapport au nombre de détenus. Il y a aussi des projets aberrants comme la création d'une prison dans le fin fond de la province de Namur. On sait déjà qu’il y aura des difficultés pour recruter le personnel, ce sera aussi à 30-40 min d’un tribunal pour les transferts de détenus... C'est totalement aberrant", dénonce le délégué CSC pour les prisons. 

De nombreuses prisons du pays refusent d'accueillir de nouveaux détenus

En conséquence de cette hypersaturation carcérale, samedi dernier, le personnel de la prison de Hasselt a fait savoir qu'il n'accepterait plus de nouveaux détenus. Plus tard dans le week-end, les prisons d'Anvers, de Malines, de Turnhout, de Louvain et de Bruges se sont ajoutées à la liste. 

Ce lundi, c'est la prison d'Audenarde qui a décidé de fermer ses portes aux nouveaux détenus. Et aujourd'hui, la prison de Lantin en a fait de même à la suite d'un arrêté de la bourgmestre. 

La mobilisation du personnel pénitencier n'est donc pas prête de s'arrêter: le front commun syndical a déposé un préavis de grève de 24 heures pour toutes les prisons belges, à partir du 14 mars à 22h00.

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