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Louis-Ferdinand Céline avait une obsession à la fin de sa vie: entrer dans la Bibliothèque de la Pléiade. L'édition 2023 de ses romans est une drôle de revanche, en ajoutant des écrits qu'il croyait perdus.
"Romans 1932-1934" et "Romans 1936-1947", qui paraissent jeudi, reprennent ses titres les plus connus, de "Voyage au bout de la nuit" jusqu'à "Guignol's Band".
C'est peu dire que Céline se montra acariâtre au moment de plaider sa cause, auprès de l'éditeur Gaston Gallimard et de ses collègues.
"Il n'est pas d'auteur qui ait signifié avec autant de constance aux Gallimard son souhait de figurer dans la collection", écrit sobrement la maison d'édition sur son site internet.
Comme le révèle la publication en 1991 de ses souvent ordurières "Lettres à la NRF", Céline se répand en injures à ce sujet pendant dix ans, jusqu'à sa mort en 1961. Et il en connaît un paquet.
Dans un nouvel "Album Céline" (une biographie illustrée) également publié par la Pléiade jeudi, Frédéric Vitoux cite une de ces insultes, au sujet de Gaston Gallimard: "La vieille tante !"
- Gallimard pas rancunier -
L'écrivain, ex-collaborationniste devenu paria, signe enfin le contrat pour une Pléiade en 1959. Mais le premier volume de cuir, papier bible et or fin ne paraîtra qu'en 1962. Après qu'il eut cassé sa pipe, comme il le craignait.
"L'ermite de Meudon", la ville de banlieue parisienne où il vivait retiré à la fin, meurt aussi sans avoir revu les milliers de pages manuscrites abandonnées dans son appartement de Montmartre, lors de sa fuite vers l'Allemagne en juin 1944.
Le petit-fils de Gaston, Antoine Gallimard, n'est donc pas rancunier quand il cite régulièrement Céline parmi les joyaux de son catalogue.
Il nourrit même l'ambition de rééditer les pamphlets antisémites des années 1937-1941. Avec appareil critique évidemment.
La publication des deux Pléiade actualisée est l'aboutissement de ce que l'éditeur a appelé une "belle séquence", ouverte par la réapparition inattendue d'inédits à l'été 2021.
Les manuscrits volés en 1944 n'avaient pas brûlé, comme s'en était persuadé le romancier. Ils avaient été mis à l'abri par des résistants.
- "Raciste" -
Récupérés par les ayants droit de la veuve de Céline, ils ont donné trois romans inédits: "Guerre" et "Londres" en 2022, et "La Volonté du roi Krogold" en 2023.
"Trois chercheurs expérimentés et efficaces, Henri Godard, Pascal Fouché, Régis Tettamanzi, épaulés par l'équipe éditoriale de la Pléiade, qui est rodée à l'édition des écrits posthumes, se sont attelés pendant dix-huit mois à l'édition, à la présentation et l'annotation des textes inédits", décrit à l'AFP le directeur éditorial de la Pléiade Hugues Pradier.
Alors que Gallimard s'est vu reprocher un appareil critique léger à "Guerre" et "Londres", qui par exemple donnait les définitions des mots d'argot "bicot" et "sidi" sans préciser qu'ils étaient racistes, cette fois la Pléiade n'omet pas cette connotation. "Désignation raciste", lit-on.
Matière hautement inflammable que l'antisémitisme de Céline. Dans la notice de "Londres" en Pléiade, quatre pages s'arrêtent sur "la représentation des juifs" dans ce roman vraisemblablement rédigé en 1934. Elle est "contradictoire, ambivalente", conclut Régis Tettamanzi, après un examen attentif.
"Associer à son nom la formule passe-partout de +grand écrivain+ ne suffit pas et ne règle rien", insiste Henri Godard en avant-propos.
Pour Hugues Pradier, cette nouvelle édition a le mérite d'exposer tout le cheminement de l'écrivain après le coup de tonnerre de son premier roman, "Voyage au bout de la nuit" en 1932.
"Notre connaissance du travail de Céline dans les années 1930-1940 en est renouvelée (...) Céline cherche sa voie, et celle-ci n'est pas linéaire", estime-t-il.