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Les premiers plans, léchés, d'un homme pagayant sur un lac azur laissent imaginer un énième film contemplatif. Puis l'intrigue accélère et la violence se déchaîne. "Katera of the Punishment Island" incarne le cinéma de divertissement émergeant d'Afrique que Netflix et l'Unesco veulent promouvoir.
L'héroïne du court-métrage de l'Ougandais Loukman Ali, parmi les six co-financés sur le continent par la plateforme américaine et l'agence onusienne, se mue en justicière impitoyable. Parce qu'un militaire a fait mourir son bébé, elle le traque et finit par le noyer. Sa furie ne dépareillerait pas chez Quentin Tarantino.
"C'est la revanche d'une jeune fille, livrée à elle-même et qui pourtant va tout casser", remarque le producteur français Pape Boye, qui a servi de "mentor" au réalisateur de ce western au féminin et loue la "violence jubilatoire" de Katera.
Loukman Ali, poursuit-il, incarne une nouvelle génération de cinéastes africains encore méconnue mais qui, "biberonnée par un cinéma grand public", "veut être vue par le plus grand nombre" et dédaigne les films d'auteur.
A 32 ans, l'Ougandais confie dans un entretien téléphonique à l'AFP avoir grandi en regardant "des films un peu idiots" mais "marrants", "genre Chuck Norris", avant d'avoir eu ses phases "films de guerre", et cinéma hongkongais, français ou anglais.
"J'ai tout appris en regardant des films et leur making-of sur YouTube", sans être "jamais allé sur un tournage professionnel", poursuit cet autodidacte. Seul et auto-financé, il avait déjà écrit et produit quatre films à tout petit budget avant "Katera of the Punishment Island".
Son dernier opus s'inspire d'un fait réel. Dans le sud-ouest de l'Ouganda, jusqu'au début du XXe siècle, des femmes enceintes hors mariage, accusées d'avoir déshonoré leurs familles, étaient abandonnées sur Punishment island, un ilôt aride. Incapables de nager et donc de s'échapper, beaucoup y mouraient.
- Futuriste -
"Même si c'était une histoire vraie, j'ai voulu en faire un film divertissant", lance-t-il. Loin des canons traditionnels du cinéma africain, ces films "lacrymaux, du genre +Regarde l'enfant pauvre+", auquel lui n'a jamais adhéré.
Loukman Ali a finalement été sélectionné l'an passé, parmi 2.000 synopsis reçus par l'Unesco et Netflix, pour réaliser son court-métrage, financé à hauteur de 75.000 dollars. "Katera of the Punishment Island" est disponible depuis mercredi sur la plateforme.
Cinq autres jeunes cinéastes africains ont ce privilège, dont la Kényane Voline Ogutu, pour "Anyango et l'ogre": dans un monde futuriste, les femmes sont divisées en deux catégories, célibataires ou épouses, celles-ci étant exposées aux violences conjugales.
"J'ai toujours voulu faire des films d'horreur, de science-fiction", commente-t-elle. Mais au Kenya, "si vous proposez un film fantastique, on vous répond que +la ménagère de moins de 50 ans+ ne comprendra pas".
Les décideurs sont plus audacieux ailleurs. Particulièrement en Afrique du Sud, où plusieurs séries ambitieuses ont été produites, et dans le Nollywood nigérian, d'où 2.500 films sortent chaque année, souvent à bas coût.
Mais les "dizaines" de jeunes réalisateurs qui "remettent en question le récit dominant" viennent bien de toute l'Afrique, affirme Steven Markovtiz, le producteur exécutif du projet Netflix/Unesco. Un phénomène lié, selon lui, aux nouvelles technologies globalisant l'information, mais surtout à un "changement philosophique".
"Nous en sommes à la troisième ou même la quatrième génération post-coloniale. (Ces cinéastes) sont beaucoup plus libres que leurs parents vis-à-vis du passé", explique le Sud-Africain, ce qui les rend "plus ludiques et provocateurs", par opposition aux oeuvres traditionnelles "lentes" et souvent dédiés à "des sujets sérieux".
Une aubaine pour un continent en pleine croissance démographique, dont les classes moyennes s'agrandissent, et qu'il faut divertir.
- 'Age d'or' -
Tendeka Matatu, cadre de Netlix-Afrique, croit ainsi en un "âge d'or pour les films" africains, dans lequel son employeur aide à "faire grandir les réalisateurs de demain".
"L'Afrique des années 1970 est très différente de celle des années 2020, insiste-t-il. Les cinéastes veulent raconter (...) la société d'aujourd'hui et les spectateurs veulent voir des histoires qui reflètent (leurs vies)."
Les plateformes de streaming sont en ce sens centrales. Grâce à leurs moyens et leur diffusion, elles suppléent les industries locales défaillantes où manquent techniciens, studios, équipements.. "22 pays (sur 54, ndlr) n'ont aucune salle de cinéma", rappelle Ernesto Ottone, sous-directeur général pour la Culture à l'Unesco.
D'ici huit ans, la taille du marché africain du streaming, aujourd'hui estimé à 3 millions d'abonnés, va être multiplié par six, poursuit-il. Un chiffre modeste comparé aux 1,7 milliard d'Africains car des centaines de millions d'entre eux n'ont ni connexion internet suffisante, ni l'argent pour souscrire à une plateforme.
Mais "ce dont le cinéma africain manque surtout, c'est l'acceptation" par le reste de l'industrie, déplore la réalisatrice ghanéenne Leila Djansi, "mentor" du court-métrage "Anyango et l'ogre".
Et de dénoncer "le parti pris, la discrimination, le racisme" dont souffrent les réalisateurs africains à l'étranger, d'où certains financements proviennent. A Hollywood, où elle travaille, "parce que vous êtes africain, à cause de votre accent, vous êtes considéré comme incapable", accuse-t-elle.
Pour sortir de cette situation, le cinéma d'Afrique a besoin d'un film "qui non seulement cartonne au niveau critique, mais aussi du box-office" mondialement, ce qui serait une première, affirme le producteur Pape Boye. Lui est optimiste : "Dans les 24 mois", cela arrivera. "Je tiens le pari."