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Plus d'un an après le début du scandale des PFAS, l'inquiétude est toujours très vive dans les communes concernées. Un plan d'action a été mis en place par le gouvernement wallon, mais clairement, il ne sera pas suffisant pour le ministre wallon de la santé. Il faudra, à terme, interdire ces polluants éternels.
Didier nous accueille chez lui en plein centre de Chièvres. Il nous montre les résultats de son test sanguin. "C'est l'indicateur principal qui est la somme des 6 PFAS. La valeur seuil doit être en dessous de 20 et moi, je suis à 72. Ce qui est trois fois et demie la valeur souhaitée", raconte Didier Carels, habitant de Chièvres.
Un quotidien bouleversé par la présence de polluants
Son épouse et ses deux enfants présentent aussi des taux bien trop importants. Aujourd'hui, ce sujet de conversation est quotidien. Chaque achat, chaque geste est pensé. "On doit faire attention aux produits qu'on utilise pour ne pas avoir une seconde exposition aux PFAS, explique Didier Carels. Il y a des PFAS dans les poêles anti-adhésives, donc il n'y a plus de poêles anti-adhésives à la maison. Il y a des PFAS dans les instruments, dans les ustensiles de cuisine, mais on n'a plus d'ustensiles de cuisine qui contiennent des PFAS. Dans les cosmétiques, dans les vêtements".
La bourgmestre de Chièvres démunie face à l’ampleur du problème
Démunie, face à l'ampleur de la situation, la bourgmestre de Chièvres a décidé de mettre en place un conseil consultatif composé de citoyens et d'experts. "Quand vous êtes politique au niveau local, vous n'êtes pas armée pour faire face à ce genre de situation", confie Zoë Delhaye. "Tout ce que vous pouvez faire, c'est appeler, aller frapper à la porte des niveaux supérieurs pour avoir de l'aide. L'aide, aujourd'hui, est-ce qu'elle est suffisante ? Non. Et c'est pourquoi on constitue ce conseil consultatif", poursuit-elle.
Sylviane a postulé pour l'intégrer. Elle habite la commune depuis plus de 20 ans. Aujourd'hui, selon elle, les mesures prises au niveau politique sont insuffisantes. "Sur le terrain, les gens ne rencontrent pas une aide au quotidien, par exemple pour de la médecine préventive. Notamment pour les publics faibles, c'est-à-dire les enfants et les femmes enceintes et allaitantes. Ces personnes-là, aujourd'hui, n'ont toujours pas de ressources", déplore-t-elle.
Des conséquences sanitaires avérées
Pour le docteur Cleeren, il y a en effet urgence pour la santé : "Les preuves scientifiques sont implacables pour toute une série de pathologies qui explosent en ce moment. Comme par exemple les troubles thyroïdiens, le stockage des graisses dans le foie. On retrouve chez les femmes et les hommes des troubles au niveau de la fertilité, une augmentation des fausses-couches". Le médecin nous parle aussi des cancers du rein, des testicules et du sein.
Et une fois accumulés dans le corps, il est presque impossible d'éliminer ces polluants. "C'est pour ça qu'on les appelle les polluants éternels. Une fois qu'ils sont dans le sang ou dans l'environnement, ils sont très difficilement éliminables. Au niveau du corps humain, la seule solution serait de donner son sang ou d'allaiter, ce qui est éthiquement très discutable", dit-il.
La recherche scientifique en quête de solutions
À l'université de Liège, dans l'un des laboratoires belges de référence pour les contaminants chimiques, Gauthier Eppe étudie depuis 25 ans les PFAS. Malheureusement, aujourd'hui, il n'existe toujours aucune technique pour éliminer totalement ces substances. "On va devoir vraiment travailler en amont sur les sources, limiter la diffusion de ces polluants dans l'environnement. Ça, c'est une première mesure. Et puis après il y a énormément de sol, d'eau contaminée qu'il faudra décontaminer au travers de différentes mesures. Il n'y aura pas une solution miracle. Il y aura un ensemble de techniques qui permettront certainement d'arriver à des résultats."
Pour l'instant, la solution trouvée pour l'eau réside dans l'installation de filtres, notamment à charbon, comme ici à Nandrin. Fin 2023, l'intercommunale a découvert que deux captages étaient pollués aux PFAS. Aujourd'hui, le filtre est efficace, mais son utilisation est contraignante. Il doit être changé régulièrement et incinéré pour éliminer les PFAS qui s'y sont accumulés.
"Le filtre est continuellement surveillé avec des analyses qui sont effectuées (...) Et depuis une année maintenant que le filtre tourne, nous maintenons le zéro PFAS", affirme Dominique Foulon, directeur général de l’IDEN (Intercommunale de distribution d’eau de Nandrin).
L'interrogation reste complète pour le moment
Si aujourd'hui tout est sous contrôle, la situation n'est pas simple. Dans les autres communes concernées, des sources de pollution peuvent être identifiées. Mais ici, impossible de comprendre d'où viennent ces PFAS.
"Ici à Nandrin, on est en réseau purement rural. Il n'y a aucune industrie, aucun aéroport. L'interrogation reste complète pour le moment et une enquête au niveau région wallonne est en cours", indique Dominique Foulon.
Pas de source de pollution identifiée, pas de responsable et donc personne pour prendre en charge les coûts. Le filtre à charbon, par exemple, coûte environ 43 000 euros par an à charge de l'intercommunale.
Le principe du “pollueur-payeur” défendu par le ministre
Pour le ministre wallon de la santé et de l’environnement Yves Coppieters, il est impératif d'identifier les responsables : "L'idée c'est d'arriver vers la notion du pollueur-payeur. C'est lui qui devra indemniser, outre l'Etat, mais aussi prendre en charge les dégâts environnementaux en termes de dépollution. Et puis, on l'a vu dans l'accord du gouvernement fédéral, il y a un fonds qui va être mis en place au niveau fédéral pour indemniser celles et ceux qui auraient des dommages sur leur santé, en l'occurrence liés à cette exposition chronique".
Plusieurs mesures sont prises par le ministre. Une analyse est en cours afin de repérer les zones contaminées et les sources de pollution. Les normes et les contrôles sont renforcés, notamment au niveau alimentaire. Mais il faudra aller plus loin, selon lui, en interdisant l'utilisation de ces PFAS, et même un jour leur production.
"On est pris à la fois dans un principe de précaution, donc il faut aller vite pour diminuer le risque, diminuer ses concentrations, et puis un principe de réalité qui dit, ok, dans l'absolu, c'est facile de dire, 'il faut interdire', mais il faut aussi des solutions alternatives pour des agriculteurs ou pour différentes solutions industrielles", souligne Yves Coppieters.
Mais cela prendra du temps. Les experts s'accordent pour dire qu'il faudra des dizaines d'années avant de supprimer ces polluants éternels de notre environnement.